LOUIS ARAGON ONLINE

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Angelo Rinaldi sur Aragon

(1982, 1997, 2003)

Les masques d'Aragon
(1982)

C'est un poète "officiel" que l'on enterre à Paris, où il est né. Celui-là même qui, dans sa jeunesse de casseur de carreaux surréaliste, invitait la petite bande des débutants groupés autour de son ami Breton à cracher sur le cercueil d'Anatole France, quand on fit des obsèques nationales à l'auteur du Lys rouge, un homme de gauche pourtant...

Un jeune homme d'aujourd'hui ne manquerait pas de raisons pour siffler le convoi funèbre d'Aragon, qui, en quatre-vingt-cinq années d'existence, amassa, au nom de la fidélité à l'URSS, un joli lot de comédies, de reniements et de bassesses. L'éloge de la police politique, qui décimait ses meilleurs camarades, n'étant pas le moindre des fleurons de la couronne au front de l'obstiné tartufe, présent depuis soixante ans sur la scène littéraire. [...]

Toute honte bue, c'est l'expression consacrée. Mais la coupe où Aragon trempait des lèvres semblait inépuisable. Le mépris que s'attirait l'homme qui avait connu la vérité avant tout le monde et n'avait pas parlé était amplement justifié. Ne va-t-il pas peser outre mesure sur l'examen des dizaines de livres écrits par ce travailleur infatigable? Certes, il n'est pas facile à surmonter, surtout au moment où l'air retentit de tous les cris de l'affliction convenue d'une république en deuil. Mais l'effort s'impose: on ne saurait faire moins pour Aragon que pour Céline, qui, sur l'autre rive, le dépassait sans conteste dans l'abjection. Et cependant, malgré ses répugnances, la critique le traite avec objectivité. Car il ne faut pas mélanger les genres, la littérature et la politique. Disons, par exemple, que la mauvaise foi peut être nécessaire à l'artiste autant que le vin ou la drogue.

Seule compte l'oeuvre, et la rose, qui demande toujours un peu de fumier pour s'épanouir. L'oeuvre d'Aragon, poète d'un "État dans l'État", depuis son passage fracassant du surréalisme au communisme, aura bénéficié, pour la diffusion et le soutien, de toutes les commodités que comporte la situation de l'écrivain adossé à une organisation puissante, capable de déchaîner les applaudissements à la commande. Quelle que fût la qualité du spectacle, Aragon était sûr d'avoir un public. Même pour sa fresque réaliste-socialiste Les Communistes, qui fut un total fiasco et où l'ancien admirateur de Barrès voulut faire pour sa doctrine ce que le maître de son adolescence avait tenté de faire pour le nationalisme dans Colette Baudoche: galvaniser les coeurs, forcément purs, des adhérents.

Les polémiques, les anathèmes et les sarcasmes que suscitait ce personnage aux manières d'évêque ont alimenté la chronique jusqu'à la fin. [...]

Quand on était de bonne humeur, on le jugeait pathétique, et grotesque quand on songeait au sort d'un Nizan. Le tapage autant que le l'engagement politique a contribué à la surévaluation des mérites du poète, du romancier et de l'essayiste Aragon, dont le savoir-faire ne pouvait se comparer qu'à la souplesse d'échine, ne s'étant pas limité à un seul genre. Que restera-t-il d'un si volumineux ensemble? Impossible de répondre à la place de la postérité, dont il eût un avant-goût de son vivant, grâce aux citations des manuels pour la classe de 3e et aux kermesses du Parti. Mais nous voyons bien, en 1982, ce qui est encore susceptible de nous toucher: Le Paysan de Paris, où Aragon a codifié l'esthétique surréaliste, pour de merveilleuses descriptions; Les Voyageurs de l'impériale, roman bavard à l'infini, pour les tableaux de la décadence d'une certaine société bourgeoise; son Traité du style; Aurélien, dans la mesure où il a emprunté certains traits à Drieu La Rochelle pour son personnage principal. Enfin, Le Crève-Coeur, petit recueil de poèmes inspirés par la guerre, qui prête une voix émouvante au résistant qui restait roi de ses douleurs.

C'est peu pour rehausser le socle de la statue, et bien mince si l'on songe aux milliers de pages noircies. Mais c'est suffisant pour qu'apparaisse la faiblesse d'Aragon, souvent intéressant par bribes, toujours discutable dans la totalité d'un livre, rarement convaincant et jamais original. Si le génie consiste à mettre partout une marque identifiable au premier coup d'oeil, on ne reconnaît pas celle d'Aragon. On distingue seulement, en filigrane, le modèle dont il s'est inspiré. Voltaire, Musset, Verlaine, Apollinaire, Anna de Noailles, Rostand père et fils, il les a pastichés tous, avec un brio qui faisait illusion et qui témoigne de son habileté à capter l'air du temps passé et présent. Ainsi a-t-il su rejoindre certaine avant-garde formaliste des années 60, dans un art coupé de la communication, pour prendre un bain de jouvence, sans cesser de produire parallèlement de charmantes romances avec trop de paroles. Ni de déposer au pied de la peinture moderne, Matisse l'ayant inspiré, des textes ambitieux mais obscurs. Dans le feuilleton esthétique, Malraux avait quand même plus de brio et d'imagination.

Aragon devait à sa dextérité hors de pair d'avoir traversé toutes les époques, pareil en cela à Cocteau autrefois. Pour le meilleur, du reste, les deux poètes, qui furent à la ville des causeurs d'un égal brillant, ne sont pas trop éloignés l'un de l'autre, bien que Cocteau, dont la vie ne souffrit d'aucune hypocrisie, ait, dans Plain-Chant, dépassé le trompe-l'oeil. Aragon le rejoint vaille que vaille dans la lignée très française des poètes de cour qui font entendre la même gracieuse chanson depuis Ronsard. Un public habitué à ces accents par des siècles d'écoute distraite à l'école a aimé les retrouver sous sa plume; il n'était pas dépaysé. Un "classique" doublé d'un "révolutionnaire", quelle aubaine quand la poésie moderne en crise ne dépasse pas, en général, le bricolage de l'indicible à l'usage des initiés! La poésie d'Aragon n'a rien apporté de neuf. Elle pâlit jusqu'à l'évanouissement, comparée à celle d'un Éluard, d'un Char, d'un Bonnefoy, d'un Reverdy, d'un Milosz. Dans l'histoire de la littérature, elle compte moins, tout entière, que le premier quatrain d'un sonnet de Mallarmé. Disparaîtrait-elle des anthologies que l'on ne s'en apercevrait pas, puisque ses ingrédients sont décelables en amont et en aval, à l'état pur.

La jeunesse ne s'y est pas trompée: Aragon n'a jamais eu de disciples ni même d'imitateurs, alors que les courtisans ne lui ont pas manqué. Que prendre à un copieur - fût-il supérieurement doué - sinon une invitation à lire des maîtres plus assurés d'eux-mêmes? En définitive, toutes les fautes qu'on lui reproche d'avoir commises auront été sans profit pour son oeuvre. C'est la première fois qu'en littérature le "vice" ne s'est pas trouvé récompensé en proportion de ses excès.

Angelo Rinaldi, L'Express, 31.12.1982



Aragon à regret
(1997)

Commémoration du centenaire de la naissance de l'écrivain oblige, et aussi entrée de son oeuvre dans la collection de la Pléiade. [...] Aragon sera toujours un peu et même beaucoup Gorki à Capri, île qui n'est pas un lieu de particulière damnation. Il était amusant, à la fin, de voir les membres du bureau politique - le BP - réactionnaires s'il en fut en matière de moeurs, se comporter telles des gouvernantes devant le vieil homme qui, émancipé de la tutelle de l'épouvantable Elsa, médiocre femme de lettres, rien moins que le genre nuisette La Perla, s'abandonnait aux fantaisies vestimentaires et garçonnières. L'un d'eux doit se rappeler la visite qu'il dut effectuer à l'aube dans un commissariat parisien, où l'on avait conduit Aragon surpris en train de caresser les fesses d'un nu de Maillol, en bordure des jardins du Louvre. "Mais qu'est-ce que vous fabriquez, grand-père? avait demandé le gradé de la patrouille. - C'est que je voudrais savoir comment on peut l'en..." Tard, trop tard, ressuscitait le sympathique dandy provocateur, complice du beau Crevel - il avait assez aimé celui-ci pour le trahir avant d'autres. Et qui fera jamais la part, chez ce caméléon, des troubles de l'âge et de la malice qui consiste à en jouer? Il faudrait interroger sur ce point le romancier François-Marie Banier, témoin juvénile des dernières années. Ne pas oublier non plus le poète Jean Ristat, qui fut son compagnon et son dernier amant.

Passons sur le livre qui sert de prétexte à la chronique [La Défense de l'infini]. Nous y reviendrons sans doute à la faveur des lectures de l'été prochain, et alors , nous n'aurons plus à dire les mérites de l'éditeur [Gallimard] et ceux de M. Lionel Follet, qui, poursuivant les travaux et les recherches d'Édouard Ruiz, a collationné ces inédits que l'on croyait perdus. Ou tout entiers dévorés par les flammes d'un autodafé de la main d'Aragon lui-même, à Madrid, en 1927. [...] De la littérature, c'en est, La Défense de l'infini, et de la meilleure, du moins pour ceux qui savent lire. Ils ne sont pas nombreux, aimait à répéter l'écrivain, en contravention avec le credo démocratique. [...] Peu ou prou, le scandale de la veille devient la norme du lendemain, dans l'intérêt de la liberté individuelle, sinon du style. Alors, on ne juge plus que la forme. Et le fait est que, dans ces morceaux disparates, elle est superbe, bien que l'on s'ennuie dans les tunnels - ils ne manquent pas. On n'aura garde d'oublier que lorsque Aragon écrit cela, sur la commande d'un mécène, la bourgeoisie savoure Marcel Prévost et Henri de Régnier avec autant de gourmandise qu'elle déguste Marguerite Duras aujourd'hui. Voilà tout pour l'heure et les obligations, en ce qui concerne La Défense de l'infini, qui est à placer juste au-dessous des meilleurs bouquins d'Aragon, lequel fut un polygraphe d'une confondante dextérité ou un écrivain prodigieusement doué. Deux façons de signifier la même chose. Et peut-être les mouvements d'une inlassable marée étaient-ils nécessaires pour que, échappant aux bouillonnements inutiles, trois chefs-d'oeuvre fussent déposés sur la rive: La Semaine sainte, hantée par l'ombre de Stendhal, et les fruits de la maturité, presque de la vieillesse, Le Traité du style et Aurélien, qui contient une figure de Drieu La Rochelle, le partenaire des soirées au bordel, des ruses des inaccomplis qui, dans le lit de la même femme, n'estiment pas coucher ensemble.

Pléiade, commémoration et tout le tremblement sont, au principal, l'occasion de faire une observation. Des terres, contrées et régions, le poète Patrice de La Tour du Pin disait: "Les pays qui n'ont pas de légendes sont condamnés à mourir de froid." Il en est de même pour les artistes, indépendamment de leurs qualités. Aussi divers qu'ils soient, Char, Léautaud, Cocteau, Colette, Crevel, et Artaud donc! en ont une. Aragon, poète mineur et majoré, reste devant la postérité l'arrogant et servile apparatchik qu'il devint, le vieillard n'étant pas parvenu à l'humaniser par de sympathiques frasques. Et il n'est pas exclu que ce soit parce que Louis, infidèle à sa nature, a vécu contre Aragon. Regret est toujours le mot de passe à l'entrée du royaume des morts.

Angelo Rinaldi, L'Express, 02.05.1997



Aragon, si l'on veut...
(2003)

Il était fils «illégitime» d'un préfet e police. Il n'eut de cesse de se trouver un père officiel qui, dans le même métier, faisait figure de géant: Staline. On pourrait résumer de la sorte la vie de Louis Aragon (1897-1982), dernière figure de la littérature française de l'entre-deux-guerres, la plus brillante qui fût sans doute, avec le romantisme. D'un bout à l'autre du paysage, chacun avait du talent, voire davantage. Le PC, à qui il demeura fidèle jusqu'au bout, lui réserva des funérailles d'édrivain officiel, à la Gorki. C'en était un pour un État dans l'État, une société isolée du corps national par l'idéologie, mais nombreuse, puissante, organisée, fraternelle à la base au moins, qui fournissait de gros bataillons de lecteurs. Où est-on mieux qu'au sein de sa famille?

La mort d'Aragon provoqua cependant une déploration générale. Il en est souvent ainsi dans un pays où les quantre-vingts premières années d'apprentissage sont pour l'artiste les plus dures à passer. Ensuite, c'est l'éloge unanime. Plus tard, l'entrée de l'oeuvre dans la Pléiade. Clle-ci, maisntenat, en est à la publication du troisième volume pour le rassemblement des écrits, de l'ancien surréaliste aux sincérités successives, et aux bonheurs varies du point de ue de la prose et des vers. Sur papier bible, donc, un roman, «Aurélien», et le cycle des «Communistes», qui resta inachevé, à l'instar des «Chemins de la liberté» de Sartre. Du premier, il est convenu de penser que c'est l'un des plus beaux romans d'amour que son auteur ait conçus. Respectueux des convenances, admettons. Aragocha, comme l'appelait Elsa Triolet (1896-1970), sa compagne depuis 1928, son commissaire politique, son épine dorsale, qui était d'origine russe, Aragocha rédigea «Aurélien» au temps où il vivait, dans la clandestinité, avec cette romancière, d'une séduction de tricoteuse au pied de l'échafaud, et qui, romancière, le fut parce que dans un couple l'hystérique imite toujours l'autre. Celui-là eut dans la Résistance une conduite qui l'exposa à de réels dangers. [...]

Sur le plan de la technique, on observe, en cuistre, que ce récit d'une liaison n'a pas le ton lisse des grandes narrations, quand elles diminuent au maximum l'épaisseur du voile - le style - pour réduire la distance entre le public et les personnages. Le recours systématique aux démonstratfs, sous l'influence probable de Barrès, confère à l'ensemble le mouvement général du monologue d'un conteur au coin du feu. Il surplombe les protagonistes au lieu d'être à leur hauteur exacte. Il emprunte beaucoup au langage parlé, qui hélas se délite avec le temps. Un exemple, à propos du moral des troupes, en 14-18: «L'état d'esprit était déplorable... à force d'entendre dire que les Fritz bouffaient des briques, et de recevoir des parpins dans la gueule.

Bérénice se détachera d'Aurélien, qui est devenu un homme d'ordre, et s'engagera ans la voie qui conduira Drieu à l'imbécillité, pour user d'un mot faible. Dans l'intervalle, on aura goûté le meilleur: la peinture, au cours de l'hiver 1922 d'une haute bourgeoisie qui rempoche ses billes, après le conflit dont les survivants ont grand-peine à se remettre. Intéressantes et vives, presque journalistiques, les scènes de la vie littéraire et théâtrale. [...]

M. Daniel Bougnoux, qui est le remarquable maître d'oeuvre de cette édition, ne se cache pas que «les Communistes», publiés par fascicules de 1949 à 1951, au plus fort de la guerre froide, sont, à la lettre, «mal famés». Il entend les défendre d'un discrédit simplificateur. Quand on aime, on n'a peur de rien. Et contre l'amour, pas un mot ne nous échappera, même si l'on ne voit pas trop où réside l'injustice dans l'accueil que la critique, à l'époque, réserva à la besogne du militant. Elle s'apparentait à la pénitence infligée au pêcheur. Elle coûta plus d'efforts qu'elle n'eut de resultats. Aragon n'avait pas qu'une fabuleuse adresse, c'était aussi un travailleur. Sans jouer sur les termes au sujet de quelqu'un qui dînait en ville, sinon à la cantine de «l'Huma», qui était snob et imbu de lui-même. «Roman à l'eau de rouge», avait affirmé Blondin, à droite, tandis que Nadeau, à gauche, renchérissait : «Brochure de patronage». On n´éprouvera pas le besoin de nuancer beaucoup pareils avis. Sauf si l'on s'apprête à soutenir une thèse sur l'histoire du presque défunt PC, Aragon essayant, dans son pensum, de cauteriser une plaie apparue là où le bât avait blessé. Avec la signature du pacte germano-soviétique, dénoncé par un Nizan, qui paya très cher sa caneur et son indignation.

[...] À la différence des militants, Aragon [...] savait depuis longtemps à quoi s'en tenir sur le goulag. Il se taisait, avalant toutes les couleuvres, tant et tant que son estomac dut ressembler, à la fin, au vivarium du Jardin des Plantes. On parlera une autre fois du poète qui fut moins original et profond que les Char, Éluard, Supervielle, Milosz, Cocteau, Desnos et Max Jacob, mais qui plut aux foules, doté qu'il était de la facilité macaronique des Rostand, Edmond et Maurice. Et si l'on évoque sa vieillesse, c'est que, généralement, on s'en desole. Parce que Aragon, coiffé d'un Stetson en velours blanc, habillé place Vendôme, apparaissait entouré de débutants des lettres au frais minois, qui avaient de l'avenir mais n'auraient jamais que cela. De chenapans de Saint-Germain-des-Prés qui eussent déconcerté les p'tits gars de l'UJC, destinés à devenir de bons époux, sur le modèle de Louis et Elsa. Or, à e moment-là, il était humain parce qu'il cherchait l'issue du dandy. Avait-il écouté Cioran, quandil conseille à l'individu de mourir en déserteur de toutes les causes «puisque seul le reniement rajeunit»? Si quelqu'un d'intelligent s'y attelait, sa biographie pourrait être plus captivante que son oeuvre.

Angelo Rinaldi, Le Nouvel Observateur, 24.04.2003



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16.06.2003