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Robert Desnos sur Aragon

(fin des années vingt)

Louis Aragon

Je ne crois pas qu'il existe d'individu qui aille contre "son tempérament". C'est à tort qu'on s'imagine qu'un homme va contre ses penchants. Ce qu'on nomme vertu, au sens élevé du mot, n'est pas précisément cette lutte de sentiments et de volontés qui font d'un esprit le théâtre de l'inquiétude ou du désespoir. Chez Aragon plus que chez tout autre homme, ce conflit spirituel est sensible. Aussi se trouve-t-il en butte aux reproches ou aux haines de ceux qui, sans le moindre trouble, s'attachent à un seul de ses penchants et souhaitent sa victoire sur les autres au lieu de se passionner pour le drame intérieur qui se joue dans cette cervelle sentimentale et intelligente.
Louis Aragon en effet est un sentimental. J'imagine que c'est sans honte qu'il donne à son intelligence qui est grande, très grande, le droit de s'en apercevoir.
La sentimentalité d'Aragon est de tous les domaines, du domaine amoureux sur lequel je me ferais grief d'insister, du domaine amical (je parlerai longuement de ses relations publiques avec Breton), du domaine intellectuel, dans ses admirations et ses enthousiasmes, chaque domaine empiétant sur l'autre, le conditionnant et l'influençant.
Le jour où, dans une salle du Val-de-Grâce, le médecin aide-major Aragon rencontra l'élève-médecin aide-major Breton fut pour le premier une grande date: celle du coup de foudre intellectuel qui, un jour ou l'autre, frappe des âmes prédestinées et les engage sur une route qu'ils ne soupçonnaient pas ou qui leur semblait interdite ou impraticable.
Ce jour-là Aragon découvrait la poésie totale et le sens de sa vie. Il faut le louer d'avoir pu se trouver dans un état d'assez grande disponibilité pour accepter la révélation. Son inquiétude se transforma. Ce diamant brut mis en présence du brasier eut à choisir entre son prestige immobile (Aragon aurait pu devenir un littérateur de grande envergure et de grands succès. Je dis aurait pu... s'il n'avait rencontré Breton... mais dans cette rencontre Aragon lui-même a une part de responsabilité. Mystérieuses circonstances des destinées humaines!), eut à choisir dis-je entre son prestige immobile et la flamme pure et parfaite qui naîtrait de son sacrifice.
Aragon a choisi la flamme. Je me refuse à considérer les cendres que cette gemme impure a pu laisser comme obscurcissant d'une fumée, si légère soit-elle, cette lumière dont les tribulations nous intéressent aujourd'hui.
Aragon fit de Breton son ami et son critérium. Le second accepta l'amitié et le rôle élevé qu'elle voulait lui conférer, montrant par là en quelle estime il tenait le feu qu'il avait allumé. Sa sévérité, sa cruauté même montrèrent qu'il ne le croyait pas près de s'éteindre et, si c'était pour l'éprouver, chaque épreuve fut surmontée.
Aragon ayant trouvé une voie à sa sensibilité se trouva alors en présence du spectre dangereux et accusateur de son intelligence. Il résolut d'asservir ce mécontent et c'est à cette lutte, que seule sans doute la mort éteindra, que nous assistons.
Tous les avantages qu'il pouvait obtenir de ses facultés, sa séduction, sa chance même, il y renonça mais elles ne renoncèrent pas à le servir. Aussi le voit-on faire les plus vertueux efforts pour n'être que sensible et céder à toutes les impulsions et à tout ce qui lui paraît impulsions, à contrarier ses facultés dès qu'elles lui semblent prendre une importance incompatible avec ses desseins, tenter d'être injurieux et n'être qu'insolent.
Il a engagé entre la poésie et sa passion une lutte inégale. La poésie se montre une esclave insoumise dans ses poèmes, elle devient femme et câline et séduisante dès qu'il écrit en véritable prose.
Mais l'amitié d'Aragon elle, suit les mouvements de son coeur. Il lui apporte ses ressources passionnelles et sa grande honnêteté.
De même le voit-on, dans ses enthousiasmes, brûler à force même de passion l'idole qu'il veut se donner. Celle-ci tombe en cendres et ses débris noirâtres encombrent son chemin jusqu'à celle qui lui succède. Breton seul a résisté à cette fatalité de déception qui n'atteint cependant pas l'optimisme désespéré de son esprit, Breton seul est resté d'un métal assez solide, est resté d'un feu assez brûlant pour triompher sans combat de l'incendie qu'il a allumé dans cette âme.
Mais malheur à celui qui veut s'éclairer à cette lumière soumise à une lumière plus haute encore. S'il ne remonte à la source même du feu, au phosphore initial, à Breton, il n'allumera qu'un feu de paille fumeux et sans clarté. Car Aragon apporte à ceux mêmes de ses amis qui l'aiment le plus ses qualités avec ses défauts. Cette inquiétude est d'autant plus grande qu'elle n'est pas ostentatoire. S'ils n'étudient pas Aragon, ils ne connaîtront qu'une face de son génie particulier tour à tour détestable et merveilleux, le littérateur au lieu du poète, l'homme du monde au lieu du révolutionnaire.
Sa participation au mouvement Dada fut l'histoire même de ses scrupules. Il obtint ainsi de passer pour suspect à ses propres amis alors que des personnages insouciants dans le fond et plus préoccupés d'imiter, d'adopter une attitude que de se poser des questions, comme Éluard par exemple, passaient impunément à travers les péripéties de cette véritable révolution morale.
Et, dans les circonstances présentes, alors que nous nous sommes placés en face de la pensée, de la poésie et de la morale d'une part et de l'action d'autre part, il est rassurant de noter que l'attitude d'Aragon reste toute de témérité, d'honnêteté, de maladresse et de mépris de la compromission au contraire de ceux-là mêmes qui voici sept ans se faufilèrent à travers les rangs des passionnés. Nul en effet n'est à la fois plus et moins capable de jouer un rôle dans le parti communiste en temps de paix. Là encore Aragon va se trouver en lutte avec lui-même. Quelle que soit l'issue de ce sonflit je suis, bien qu'ayant adopté une attitude différente de la sienne, de ceux qui ne doutent pas de la moralité parfaite de son évolution.

Robert Desnos, "Louis Aragon" (fin des années vingt)





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