LOUIS ARAGON ONLINE
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Gabriel LEROY (Montgeron)

Aragon et Steenwerck

Le grand écrivain Louis ARAGON a décrit notre village dans une page de l'un de ses romans les plus connus : LA SEMAINE SAINTE (Editions Gallimard, Paris, 1958). Ce roman raconte la fuite du comte d'Artois, Monsieur, le frère du roi Louis XVIII, le futur Charles X, celle de son fils le duc de Berry et de leur maison, lors du retour de l'Empereur pour les Cent Jours. Je copie cette page qui nous concerne et où nous reconnaissons notre village et ses chemins, tels qu'il devaient être à cette époque, évoqués avec une langue forte et drue :

" Si l'on avait eu du mal, entre chien et loup, pour gagner cette région, dans la nuit noire avec ces gros nuages et l'averse, c'était bien pis maintenant une fois la Lys franchie, un guide avait montré l'amorce de chemin, qui se détachait de la grand'rue d'Estaires, laissant la route d'Armentières sur la droite. Mais tout de suite on s'était trouvé dans cette région de marais et de tourbières qui était réputée impraticable les deux tiers de l'année, et le convoi avait beau piétiner pour se rassembler toutes les cent, cent cinquante toises environ, ce n'était pas cela qui permettait de savoir où aller quand il y avait une bifurcation, et les bifurcations, ce n'était pas cela qui manquait. Ici les chemins se coupent et se recoupent, on les appelle des rues, c'est comme une grande ville non bâtie, et l'on s'y perd, surtout que pour tortiller, on ne s'en prive pas, à chaque coude faut-il continuer droit, ou cela va-t il dans un champ, brusquement on tombe dans des roseaux, c'est un courant, sortez-vous de là, nom de Dieu ! Parce que le genre quadrillé des champs et de l'eau se poursuit par ci, c'est pour les voitures que c'est drôle... Dites-donc, en fait d'aller tout droit... Vous ne croyez pas qu'on revient sur ses pas? Du diable si ceux qui nous conduisent en savent plus que nous ! Qui a parlé ? Oh, pardon monsieur le Maréchal... S'il y avait une maison, on demanderait son chemin. Oui, mais il n'y en a pas. Les écarts sont rares et dispersés. Le chemin de quoi d'ailleurs ? Bailleul ? Non, Steenwerck... A Estaires, on nous a dit comme ça, que pour Steenwerck, qu'on aille à droite, qu'on aille à gauche, par le Petit Mortier ou par le Doulieu, on y retombait forcément, c'était un petit peu plus long par le Doulieu, mais enfin. Bon, bon, seulement ce n'est pas qu'une fois qu'on a le choix entre la droite et la gauche, cela ne doit pas toujours mener au petit Mortier ni au Doulieu, dites-donc. [...]. Dans le jour, les piétons, s'ils savent bien sauter de pierre en pierre, peuvent suivre les pas qui bordent les chemins. Mais des cavaliers, la nuit... "

Je suppose qu'après cette présentation quelques uns d'entre vous liront ou reliront ce beau roman. Ils devront être patients, car la fuite commence à Paris et le chemin est long avant la frontière ! Ils seront récompensés par les descriptions de lieux voisins qu'ils reconnaîtront : Lillers, Béthune, Estaires, la ferme des Ifs à la Fosse (Locon La Couture) ou la ferme sur la montée du Seau à Neuve Eglise qui est, à mon sens, au centre du roman, là où se rasent les Princes pour arriver frais à Ypres et où ARAGON, en 1940, soldat vaincu, est mis en cause par les hommes de sa compagnie pour ses opinions communistes. Il fuit alors vers la mer et Dunkerque, comme les Princes fuyaient l'Empereur.

Une confidence de Monsieur GIARD, l'ancien libraire bien connu de la rue Esquermoise à Lille, membre du Comité Flamand de France, m'a appris que Louis ARAGON était passé, en compagnie d'Elsa TRIOLET, dans notre Flandre pour préparer ce roman et qu'il lui avait acheté une bonne dizaine de livres anciens. Mme PRINCIPALLI, chargée de recherches au CNRS, qui travaille sur l'œuvre du grand écrivain, m'a confirmé qu'ARAGON avait suivi, dans son roman, l'itinéraire historique des Princes et qu'il avait refait lui-même, au moins en partie, cet itinéraire.

Aragon confirme et laisse percer ses intentions. ( Aragon, J'abats mon jeu, Mercure de France, Paris, 1992 ) :

" Et dès qu'on n'est plus à Paris, c'est que cela devient difficile de trouver l'image des lieux traversés cent quarante deux ou trois ans plus tôt par la Maison du Roi ! Personne ne peut vous dire de quoi avait vraiment l'air une route, alors et de quoi elle était faite… Bon, je ne vous entraînerais pas dans le détail de ces reconstituions de paysages historiques, eux, pour lesquels j'avais des exigences tout autres que pour les personnages que j'y faisais évoluer. Mais pourquoi, faisant œuvre de romancier, de menteur, comme je dis, pour les personnages, apportais-je cette minutie dans le décor, ce soin à le rendre tel qu'il a été ? "

" Vous pouvez aller rêver, mon livre à la main, dans tous les endroits décrits. Dans la vallée de la Somme ou le Bois des Arbrisseaux au-dessus de Poix, à Lillers ou à Béthune et la frontière, à la ferme des Ifs, à la Fosse près de Lestrem… partout où vous trouverez confirmation de ce que j'en avance, mes personnages, mes mensonges, prendront corps. Et j'ai eu l'ambition de leur donner non pas seulement vraisemblance pour les lecteurs hâtifs d'aujourd'hui, mais pour l'érudit de demain qui leur cherchera des poux, pour ces scholiastes futurs dont Stéphane Mallarmé lui-même avait révérence."

Suit un long et très intéressant paragraphe sur la recherche et la quête d'Aragon au sujet de la ferme des Ifs à Lestrem. Le passage de Monsieur, le frère du roi, à Estaires est prouvé. Monsieur DETOURNAY, maire de la ville, d'opinion royaliste, écrit le 25 mars 1815 à 5 heures du matin au préfet du Nord pour lui relater les événements. Une douzaine de voitures et de chevaux, des selles, des plats et des couverts sont retrouvés les jours suivants... Tous les exodes se ressemblent ! Une tradition locale parlait même de trésor abandonné...

Cependant, je ne connais pas de preuve du passage du convoi à Steenwerck. Il existe sans doute des documents qui en témoignent. Avis aux historiens locaux ! Je demande aussi à tous les anciens steenwerckois qui se souviendraient de l'éventuelle venue d'ARAGON à Steenwerck en 1958, de bien vouloir me communiquer leurs souvenirs. Je ne manquerai pas de les transmettre aux membres du CNRS qui travaillent sur son œuvre.

Quoiqu'il en soit, les historiens locaux de l'Artois et de la Flandre et en particulier ceux de la région de Lillers, de Béthune, d'Estaires et de Steenwerck ne pourront pas, sauf à se résigner à n'être pas exhaustifs, faire l'économie de la lecture et de l'étude de " La Semaine Sainte " et de son analyse par Aragon lui-même.

Copyright © 2003 by Gabriel Leroy



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