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André Breton sur Aragon

(1935, 1952)

1935

V. - La rupture du surréalisme avec Aragon a-t-elle résulté de profonds différends touchant les postulats essentiels du surréalisme?

Elle a résulté surtout de l'impossibilité pour le surréalisme de maintenir sa confiance à un homme que des raisons strictement opportunistes pouvaient déterminer d'un jour à l'autre à condamner par ordre toute son activité passée, et qui se montrait ensuite incapable de justifier si peu que ce fût cette volte-face. Le postulat essentiel que heurte une telle attitude n'est pas propre au surréalisme: c'est le postulat de l'identité de l'esprit. Un esprit déterminé ne peut s'abdiquer si vainement dans toute l'étendue de sa démarche ou il en doit immédiatement un compte public dans la mesure même où cette démarche a été publique. Il ne peut s'agir, au cas contraire, que d'une conversion ou d'une trahison. Il faut dire que, depuis lors, Aragon tente de systématiser le reniement: "Il en viendra [Victor Margueritte] à contredire son passé (c'est lui qui souligne), et il y aura là aussi de la grandeur." Pour quiconque a connu Aragon, il est aisé de voir là l'aboutissant des deux tendances: "ne pas mettre ses actes en rapport avec ses paroles" (Traité du Style) et "crachons, veux-tu bien, sur tout ce que nous avons aimé ensemble" (La grande Gaîté). On ne se contredit pas autant qu'on le veut. Les deux derniers articles que nous ayons lus d'Aragon: "D'Alfred de Vigny à Avdeenko" (Commune, 20 avril 1935) et "Message au Congrès des John Reed Clubs" (Monde, 26 avril), quelque absence de scrupule qui s'y manifeste, dénotent chez lui un grave malaise. Derrière une série de déclarations ambitieuses et de faux témoignages - nous y reviendrons - s'exprime une inquiétude symptomatique: celle d'être victime de sa surenchère qui tend aujourd'hui à le mettre en déaccord avec les mots d'ordre du 1er Congrès des écrivains soviétiques, beaucoup plus larges que ceux de Kharkov.

André Breton,"Interview d'Indice", dans André Breton, Position politique du surréalisme, 1935, p. 77-78; Pléiade II, p. 448-449

1952

[Par rapport à Philippe Soupault] Aragon était de caractère et de formation bien différents. Tout à fait au début de nos relations, il mettait, en poésie, Villon bien au-dessus des modernes et, parmi les contemporains, donnait largement le pas, sur l'Apollinaire d'Alcools, au Jules Romains des Odes et Prières. On juge de l'hérésie que cela put constituer aux yeux de Soupault et aux miens, mais c'était là une opinion qui avait cours autour d'Adrienne Monnier qu'elle encourageait au possible et Aragon était des principaux familiers de sa librairie. Il avait tous les dons voulus pour y briller.

[...]

[André Parinaud:] Aragon était-il déjà l'esprit séduisant et original que devait révéler Le Paysan de Paris?

[André Breton:] Lui-même. Sur le plan des goûts qui pouvaient l'opposer à Soupault aussi bien qu'à moi, il avait eu très vite fait de jeter du lest. Je revois l'extraordinaire compagnon de promenade qu'il était. Les lieux de Paris, même les plus neutres, par où l'on passait avec lui étaient rehaussés de plusieurs crans par une fabulation magico-romanesque qui ne restait jamais à court et fusait à propos d'un tournant de rue ou d'une vitrine. Même avant Le Paysan de Paris, un livre comme Anicet donne idée, déjà, de ces richesses. Nul n'aura été plus habile détecteur de l'insolite sous toutes ses formes; nul n'aura été porté à des rêveries si grisantes sur une sorte de vie dérobée de la ville (je ne vois que lui qui ait pu souffler à Jules Romains celui-ci en fait état dans Vorge contre Quinette la prestigieuse fable des 365 appartements à communication clandestine qui existeraient à Paris). Aragon était en ce sens étourdissant y compris pour lui-même.
Dès cette époque, il avait vraiment tout lu. Une mémoire à toute épreuve lui retrace à longue distance les intrigues de romans innombrables. Sa mobilité d'esprit est sans égale, d'où peut-être l'assez grande laxité de ses opinions et, aussi, une certaine suggestibilité. Extrêmement chaleureux et se livrant sans réserve dans l'amitié. Le seul danger qu'il court est son trop grand désir de plaire. Étincelant...

[André Parinaud:] Est-il déjà, de quelque façon, un révolté?

[André Breton:] En lui, à ce moment peu de révolte. Le goût de la subversion plutôt affiché par coquetterie mais, en réalité, les impositions de la guerre et de l'orientation professionnelle (médicale) supportées avec allégresse: croix de guerre au front; il s'arrangeait pour avoir "pioché" toujours un peu plus que les autres les "questions d'internat".

[André Parinaud:] Ce n'était donc pas encore pour lui la période d'incubation d'une crise morale qu'il devait traverser plus tard?

[André Breton:] De crise profonde chez lui, à ce moment, aucune... Oui, elle devait se produire plus tard et, autant qu'il me semble, par contagion. (pp. 43-45)

[...]

[André Parinaud:] À cette époque [vers 1924-25], monsieur Breton, quelle était la position d'Aragon dans votre groupe?

[André Breton:] Aragon? Il est tel que je l'ai déjà présenté: il a toujours aimé les acrobates; nul ne s'entend comme lui à prendre le vent; vous n'avez pas décidé, même contre son avis, de gravir une colline qu'il est déjà au sommet... Le sentiment général, parmi nous, est qu'il reste très "littérateur": même cheminant avec vous par les rues, il est rare qu'il vous épargne la lecture d'un texte achevé ou non. Fatalement ces textes en viennent à être de plus en plus à effets; tout comme il aime, en parlant dans les cafés, à ne rien perdre de ses attitudes dans les miroirs. À l'époque, cela n'est tenu que pour un travers et ne porte qu'un léger préjudice à ses interventions, toujours remarquablement intelligentes et déliées. (p. 109)

André Breton, 1952





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