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François Mauriac sur Aragon

(1959)

Bloc-Notes du 18.02.1959

Sur l'effondrement de la gauche, tout a été dit. Mais qu'on est discret à droite sur la déconfiture communiste! C'était pourtant une belle occasion de se congratuler. Car enfin le Parti Communiste est le seul chez nous qui soit ouvertement révolutionnaire, le seul que la conjoncture n'aurait pas dû surprendre et dont on aurait pu croire qu'il était en mesure d'opposer tueur à tueur. La gauche socialiste ou radicale, on savait que la mitraillette n'était pas son fort. Mais l'homme au couteau entre les dents, qu'attendait-t-il pour se manifester enfin? On a été bien discret à droite sur cet incroyable dégonflement. C'est que l'épouvantail communiste devenu, au vu et au su de toute la France, un perchoir à moineaux, ne pourra plus servir de quelque temps.
J'ai pris conscience de ce renversement l'autre jeudi, à l'Académie, où l'un de mes confrères - et qui siège du côté droit de notre compagnie - cherchant avec moi des écrivains dont nous pourrions solliciter la candidature, a prononcé tout à coup (et le plus sérieusement du monde) ce nom: Aragon. Moi que rien n'étonne plus, la stupeur m'a changé en statue de sel. Je ne voudrais surtout pas donner à Aragon de fausses espérances. Mais peut-être recueillerait-il aujourd'hui chez nous plus de voix que Me Biaggi qui a pourtant, si nous en croyons MM. Bromberger, des côtés bucoliques dans sa nature, et qui récite volontiers du Virgile au dessert, les soirs de bataille.

François Mauriac, 1959

Bloc-Notes du 28.02.1959

Les livres de la semaine couvrent le divan, les tables. Certains rampent sur le tapis, insectes qui ne s'écrasent pas. [...]
L'amour des livres, cette passion de mon enfance, et de mon adolescence, tourne sur mes vieux jours au dégoût, c'est un fait. Moi [...] je rêve d'une maison aux murs nus, où aucun livre ne traînerait. Je respire mal dans un monde où chacun veut me raconter sa vie. [...]

Pourtant, j'ai résolu aujourd'hui d'échapper à la politique et de plonger la main dans tout cet imprimé. Il ne fait de mal à personne, après tout. Du moins ne tuons-nous personne, nous autres. Les mauvais livres sont inoffensifs puisqu'ils ne sont pas lus. Que la politique criminelle le cède donc, dans ce Bloc-Notes, à cette littérature cancéreuse mais anodine!
Anodine? Non: il suffit d'un regard à la surface de ce flot. Et le chef-d'oeuvre apparaît. Voici un nom qui s'y inscrit, un petit nom de femme, Elsa, et au-dessus celui de l'auteur: Aragon. O littérature que je blasphémais! O poésie de France, fleuve qui roule son flot, aujourd'hui comme hier, qui ne tarit jamais - et c'est trop peu dire: dont le niveau ne baisse à aucun moment. Ce poème qui ne saurait être confondu ni avec ceux de Claudel, ni avec ceux de Valéry, pour ne parler que des grands morts les plus récents, procède un peu de l'un et de l'autre. C'est merveille d'y voir le libre verset claudélien s'épandre et puis tout à coup se durcir sous nos yeux en strophes le plus souvent octosyllabiques, d'un incorruptible métal.
Et que cette eau profonde, contenue entre les vieilles pierres de l'art poétique traditionnel, demeure partout limpide, et que la pensée du poète ne cesse à aucun moment d'être intelligible, j'en loue et j'en bénis Aragon; car il y a beau temps que j'ai fait mien cet aveu de Joubert: "J'ai fort étroite cette partie de la tête destinée à recevoir les choses qui ne sont pas claires." Je n'ai besoin de personne pour mettre à sa place l'auteur d'Elsa. Je me garderai de le comparer aux poètes vivants et de dire s'il l'emporte sur eux (comme je le crois). Mais je l'introduis sans effort parmi les plus grands du passé.
Qui est ce poète d'Elsa? Que nous dit-il? Rien qui rappelle le petit surréaliste insolent de l'autre après-guerre, ni le communiste "invivable" de la Libération. C'est le visage inconnu et démasqué d'un enfant romantique, plus proche de Musset que de Lautréamont, mais que son amour n'aura pas trahi.
Cet aspect insolite du communisme: une sorte de manchon isolant pour conserver intact l'amour conjugal d'un illustre couple.

Je songe tout à coup que si les jeux de la politique et du hasard avaient porté Aragon à la place qu'occupe Malraux aujourd'hui, il n'aurait peut-être pas écrit Elsa - ou, plus profondément, que c'est parce qu'il est le poète d'Elsa, qu'il ne pouvait devenir ministre - et qu'il ne le deviendra jamais, du moins tant que le poète en lui restera vivant: qui perd gagne.

François Mauriac, 1959



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