LOUIS ARAGON ONLINE

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Meinungen und Urteile über Les Yeux et la mémoire

Opinions et jugements sur Les Yeux et la mémoire


Claude Mauriac (1954)

Aragon publie chez Gallimard Les Yeux de la Mémoire [sic!]. Ce qui frappe d'abord, dans ce long poème, c'est ce qui n'est pas lui, ce sont les notes. Elles occupent le quart du volume et sont des plus instructives. Nous y apprenons, par exemple, que Jean Racine est un poète français, dénomination à laquelle ont aussi droit, paraît-il, Gérard de Nerval et Stéphane Mallarmé. Sans oublier Paul Claudel qui bénéficie de quelques détails supplémentaires: il serait "contemporain" et "d'inspiration catholique". Aragon explique aussi à ses lecteurs comment il se fait, l'orthographe phonétique aidant, que Shakespeare ("poète dramatique anglais") puisse rimer avec soupir.

C'est donc au tour d'Aragon de nous raconter sa vie. Il le fait en vers non ponctués, ce qui ne les rajeunit peut-être pas autant qu'il le souhaiterait. Biographie poétique et politique, Les Yeux de la Mémoire [sic!] désarme l'ironie. Nous n'aimons pas les victoires faciles. Notamment sur les trop vulnérables poètes. On ne sait ce qui l'emporte ici de la naïveté ou de la rouerie. Aussi bien notre sourire se fige-t-il parfois. Nous sommes émus. Le talent est une grâce tenace.

Le partisan d'aujourd'hui ne vaut tout de même pas le paysan d'hier. (Je parle du "Paysan de Paris.") En cette époque surréaliste de sa vie Louis Aragon assure avoir été naufrageur de lui-même. Il évoque pourtant ce noyé avec nostalgie, sachant obscurément que s'il a coulé corps et bien c'est pour avoir cédé à l'appel des sirènes. De son propre aveu, il ne s'abandonna pas sans se débattre quelque peu:

Je ne suis pas vraiment communiste je crois
Je l'avoue et je dois honnêtement vous dire
 Qu'à lire vos journaux je m'irrite parfois...

Vaines protestations d'un coeur captif mais captivé. Il s'y fera peu à peu. Non sans peine, pourtant:

Vois-tu j'ai tout de même pris la grande route
Où j'ai souvent eu mal où j'ai souvent crié
Où j'ai réglé mon pas pour que ceux qui m'écoutent
En scandent la chanson sur le pas ouvrier...

Mais maintenant (ô récompense de la foi et de l'habitude!), il se sent au P.C. comme chez lui:

Salut à toi Parti ma famille nouvelle
Salut à toi Parti mon père désormais...

Il est vrai que petit Louis est l'enfant préféré. Celui à qui l'on a confié ses jeunes frères en vue de leur apprendre à lire et à écrire. Pour se faire obéir il n'a qu'à murmurer: "Attention! ou je le dirai à papa."

Jean Kanapa (1954)

[...]

Voici un grand poème épique, où le lyrisme du destin individuel se marie au plain-chant du cours des choses, si l'on peut ainsi dire de notre histoire nationale, renouant, une nouvelle fois dans l'oeuvre d'Aragon, avec les grandes formes d'expression de la poésie française, avec plus d'ampleur et de perfection que jamais. [...]

On s'interroge, on nous interroge sur la signification de ces mots "positions de Parti", "esprit de Parti" et, plus encore, sur les moyens de satisfaire aux recommandations qu'ils suggèrent ou sur la crainte (et parfois, paradoxalement, le désir) qu'elles n'impliquent une sorte d'étroitesse sectaire. Ce poème donne à cela une réponse éclatante. Cette absence de morgue, d'isolement suffisant, cette bouleversante générosité du coeur et de l'esprit, cette aptitude à comprendre chacun et à parler à tous, à transmettre une expérience dépassée et critiquée, mais non reniée ni raillée... voici une grande oeuvre écrite, non pour provoquer la jubilation personnelle des communistes, mais pour aider tout un chacun à comprendre ce que nous sommes. Voici un haut chant français écrit pour tous, pour ceux qui sont communistes comme pour eux qui auraient pu le devenir, pour ceux qui le seront peut-être un jour comme pour ceux qui n'envisagent pas un instant qu'ils pourraient le devenir.

Si une telle démarche - et l'écho qu'elle rencontre de ce fait - est possible, c'est que le poète ne reprend pas tels quels, ni sous un travesti, les mots d'ordre politiques de son Parti. Mais que, artiste, il fait que ces vers portent plus loin les raisons qui animent ceux-ci, et offrent une interprétation lyrique des données, tant personnelles qu'historiques, qu'en fonction d'eux il a choisies. C'est cette assimilation intime et rigoureuse, sans concession à l'approximation, de la pensée de son Parti qui donne au poète une liberté d'expression totale, lui permettant de se faire entendre de ceux mêmes qui sont fort éloignés de cette pensée. C'est ainsi dans la conscience la plus exigeante de sa responsabilité qu'il trouve les moyens de ce qui est à la fois la plus grande audace et la plus large résonance.

[...]

Qu'en ce sens les principes et la politique des communistes fécondent incommensurablement la création artistique, cette oeuvre maîtresse en donne la preuve renouvelée. Elle illustre de la façon la plus démonstrative qui soit le champ qu'ouvre à l'artiste, l'enrichissement que signifie pour lui de se tenir sur les positions de classe ouvrière et de mener à ses côtés son combat.

Dans le même temps il apporte à la classe ouvrière quelque chose de plus que ce que lui enseigne sa propre lutte, quelque chose qui, né du partage des mêmes angoisses, des mêmes batailles et des mêmes espoirs, lui donne des raisons nouvelles de confiance et d'exaltation, amplifié sa voix, enrichit sa sensibilité, jette dans sa lutte le poids de la beauté la plus achevée.

[...] À la veille du XIIIe Congrès, qu'il nous soit permis, non sans une reconnaissance profonde, de saluer en ce nouveau poème d'Aragon une oeuvre qui appartient déjà au nouveau classicieme français.

Pierre Daix (1955, II)

[...] Les Yeux et la Mémoire est le plus grand poème d'Aragon. Qu'on veuille entendre cela de la longueur du texte proprement dit ou bien de son contenu, l'équivoque ne me gêne pas. Plus de deux mille vers, cela constitue, en tout cas, dans la poésie contemporaine, un exception notoire [...]. J'insiste, car la critique ne semble guère l'avoir noté. Les Yeux et la Mémoire venant d'un poète qui a pour habitude de justifier ou de critiquer chacune de ses démarches, il vaut sans doute la peine de commencer par cette remarque sur la constitution de l'oeuvre. [...]

[...] Ici apparaît une rupture. C'est en fait la première fois qu'Aragon s'attaque à une aussi "grande composition". Et il faut bien partir de cet inhabituel, de cet inusuel, fût-ce dans la poésie même d'Aragon, pour juger de ce nouveau poème. [...]

[...]

Qu'est-ce qui fait la rupture d'avec les Yeux d'Elsa? Qu'il y a moins de musique? Les Yeux et la Mémoire sont un grand poème et on y trouve des parties qui chantent, et d'autres qui chantent moins au différemment. Personne ne songerait à demander qu'une symphonie ne soit qu'un andante. Le poète a droit aux dissonances, aux ruptures de ton, et je ne crois pas que quelqu'un le chicane sérieusement là-dessus. Non, ce qui a changé dans la poésie d'Aragon, c'est tout simplement qu'il est libre de parler et qu'il en profite.

Les Yeux et la Mémoire offrent donc de grandes différences avec les poèmes précédents d'Aragon. De sorte qu'il faut lire ce poème différemment. Le juger aussi différemment.

Il faut, en effet, traiter Les Yeux et la Mémoire comme on le ferait d'un roman. Non pas le raconter à la place de l'auteur, mais tenter d'en dégager la construction, les grands thèmes, le ton et ses variations. [...]

[...]

De la poésie de contrebande d'Aragon au poème Les Yeux et la Mémoire , ce qui triomphe justement, c'est la chose à dire, parce que si François la Colère pouvait se permettre bien des choses, Aragon, lui, en 1942, ne le pouvait pas, et il lui fallait simplement suggérer, et non pas dire, la chose à dire.

[...] Il fallait que la précision ne fût pas seulement intime, mais publique, perceptible à tous, et pas seulement aux camarades du poète. Et le vers d'Aragon, après tant de recherches formelles, se révèle l'instrument capable d'exprimer cette chose à dire, jamais encore dite, le Parti communiste français. [...[

Et le rêve où entraîne cette double expérience d'homme et de poète peut servir à ceux des poètes qui entendent aborder ce suhet avec leur bonne volonté et leur émotion, mais sans disposer de l'instrument, ni toujours de la rigueur de pensée. L'équilibre ici atteint dans le poème est de ceux qui semblent trop simples pour qu'en apparaisse la complexité. Mais cette simplicité même n'est que le fruit de cette parfaite adéquation du vers à la pensée. Parler de prosaïsme revient à faire à la prose un compliment immérité.

[...]

Pierre Daix (1955, III)

[...] Lumière nationale? Si j'ai tenté cette longue analyse, et si sommaire encore, des dix premiers chants des Les Yeux et la Mémoire, c'était beaucoup pour préciser le contenu que l'on peut mettre derrière ces deux mots qu'Aragon a unis. [...] Lumière nationale il y faudrait tout cela et tout ce qu'Aragon sait mettre dans le mor lumière, et tout ce qu'un très long travail, tout ce que quarante années au moins de réflexions, d'étude, de discussions [...] l'autorisent à mettre dans le mot nation. Et tout cela n'est qu'une description sèche, car il y faut le coeur, et l'amour qui est l'amour pour Elsa. Et au-delà encore la force majeure, celle qui est la muse de ce poème, la force du Parti. [...]

[...] il me semblait évident, si clair à la lecture, que le Parti était au centre du poème Les Yeux et la Mémoire [...].

[...]

La grande leçon des Yeux et la Mémoire, c'est qu'on ne peut oublier aucun des termes de notre confrontation avec le réel, ni notre histoire d'homme, ni l'histoire de notre nation, ni notre amour, ni le Parti.

[...]

[...] Ce qui est sans doute le plus frappant à la lecture des Yeux et la Mémoire ou de La Lumière de Stendhal, c'est que jamais Aragon n'isole la France. S'il voit plus clair en Stendhal, c'est parce qu'il sait éclairer le Rouge et le Noir par les intrigues de la Sainte-Alliance, comme Les Espagnols au Danemark de Mérimée par la géographie napoléonienne. Et l'importance attachée au prussien Heinrich von Kleist se raccorde à ce thème constant, dans les Yeux et la Mémoire, des rappels allemands, Chamisso par exemple. [...]

C'est tout cela ls lumière nationale.Il nous faut apprendre à lire Aragon, et chemin faisant, en sa compagnie, entreprendre cette grande révision de toutes les valeurs qui est indispensable si l'on veut tenir sa place dans les grandes luttes de notre temps, dans le combat pour la renaissance nationale de notre pays.

Francis Crémieux (1998)

Cette année-là (1954) où s'écrivit Les yeux et la mémoire (3000 vers) une guerre s'acheva un matin à Genève (20 juillet: cessez le feu au Viet-Nam) et le dernier poème du volume, Chant de la paix, est daté du 26 juillet: [...]

"Je ne crois pas qu'on puisse comprendre quoi que ce soit de moi, si l'on omet de dater mes pensées ou mes écrits" nous signale Aragon. L'empreinte vocale que nous relançons en 1998 vers l'infini poétique est aussi une marque politique et nationale.

Cette année là encore, les députés français (le 30 août) repoussaient par 319 voix contre 264, le projet de reconstitution d'une armée allemande de revanche qu'impliquait la Communauté Européenne de Défense (C.E.D.) dans le cadre de l'Alliance atlantique. Dans les premiers jours de novembre 1954 commençait une guerre qui n'osait pas dire son nom, suivie par les gazettes dans la - nouvelle - rubrique: les événements d'Afrique du Nord...

[...]

Ce document sonore en dit plus long que toute étude sur la métrique, la rime, l'enjambement et le "vers compté" du chant aragonien, comme sur l'absence de ponctuation. Quel artiste dramatique oserait lire comme Aragon, mordre les mots assemblés comme on mord le chasselas ou le raisin muscat?

Sachant que le défuntse défiait des modes - comme des ignorantins qui les relaient et "croient qu'on joue du piano avec les pédales" - refusons l'accostage aux rives des idées reçues. Combien nombreux étaient, sont, ceux qui croyaient pouvoir nous éloigner de lui, critiques littéraires (?), journalistes politiques, gens de lettres et de corde, mémorialistes et biographes prétendus. Il revient, Accompagnons ce retour du poète (1897-1982). [...]





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14.11.1999

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