Aragon - Les Voyageurs de l'impériale - Zitate

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Louis Aragon - Les Voyageurs de l'impériale

Zitate - Quelques citations




Zitate - Quelques citations

Aus - Extrait de la Première partie, ch. I

[Incipit:] "Oh! quelle horreur!" s'écria Paulette.
Il faisait un temps magnifique, un de ces ciels où c'est un bonheur qu'il y ait des flocons de nuages, pour que quelque chose y puisse être de ce rose léger qui les rend plus bleus.
(OEuvres romanesques croisées d'Elsa Triolet et Aragon, t. 15, p. 33)

Aus - Extrait de la Première partie, ch. II

Que croire? Tant de gens racontaient les choses les plus contradictoires. Sa mère, la pauvre femme, après cet accident de chemin de fer et cet obus qui deux fois l'avaient faite veuve, entoura la jeunesse dePierre d'un réseau de craintes et d'appréhensions. Dieu merci, une seule certitude leur rstait dans leurs malheurs: l'argent. (OEuvres romanesques croisées d'Elsa Triolet et Aragon, t. 15, p. 42)

Aus - Extrait de la Première partie, ch. II

Pierre Mercadier allait au concert. La musique... c'est l'art idéal, on met dedans ce qu'on veut, les notes ne prennent pas parti, tout s'y résout dans l'harmonie. (OEuvres romanesques croisées d'Elsa Triolet et Aragon, t. 15, 43)

Aus - Extrait de la Première partie, ch. II

Il crut avoir tout fait en apportant à Paulette une fougue assez violente. Il était de ces hommes qui confondent amour et tempérament. Paulette dut donc le subir; et quand elle eut remarqué que certaines simagrées abrégeaient l'ennui de toute cette affaire et avaient pour effet de rendre Pierre heureux, elle prit l'habitude de jeter quelques cris, alors qu'elle n'éprouvait rien, seulement pour en finir, et peut-être aussi par une sorte de gentillesse.
Il en résulta que Pierre la croyait éprise de lui, qu'il ne se posa aucune question sur une matière délicate et en conçut définitivement cet orgueil absurde du mâle, qui veut qu'un homme soit presque toujours persuadé que, parvenu à faire l'amour à une femme, celle-ci lui appartienne corps et âme. Les romans, le plus souvent écrits par des hommes, sont bâtis à l'ordinaire sur cette conception si étrange et si peu réelle: aussi tout y est-il réglé quand enfin les héros ont couché ensemble.
(OEuvres romanesques croisées d'Elsa Triolet et Aragon, t. 15, p. 45)

Aus - Extrait de la Première partie, ch. V

Une mère, c'est un témoin irremplaçable qui s'en va: notre univers qui commence à se détruire.(OEuvres romanesques croisées d'Elsa Triolet et Aragon, t. 15, p. 58)

Aus - Extrait de la Première partie, ch. VIII

Le paysage qu'on découvrait de là hantait Pascal, et le hanta toute sa vie, comme ces choses desquelles on ne se souvient plus si on les a rêvées ou vues. Il avait pris une sorte de sens symbolique, sans que Pascal pût en rien s'en formuler le symbole. Un peu comme si, parvenu au sommet de la montagne, on avait atteint le bord du monde visible, et qu'au-delà eussent débuté les fantasmagories. Et aussi, y croyant sans y croire, il se formait dans la tête du jeune garçon cette idée vague, qu'il en était ainsi de toute chose, que toute chose avait son rebord sur l'abîme, et que, par-derrière ce que l'on voyait, il se creusait un pays pareil à celui que l'on découvrait du haut de la montagne. (OEuvres romanesques croisées d'Elsa Triolet et Aragon, t. 15, p. 81-82)

Aus - Extrait de la Première partie, ch. IX

[Pascal de Sainteville, le grand-oncle de Pascal Mercadier:] Il n'y a que deux sortes d'hommes dans un pays, ceux qui produisent avec leurs bras, et ceux qui conservent tous les biens du monde, spirituels et matériels, l'aristocratie, dépositaire de l'honneur, de la santé morale d'un pays... Les autres, ce sont des joueurs de bonneteau. Des voleurs de travail et des voleurs d'honneur. Je respecte le peuple. Je ne respecte pas les bourgeois... (OEuvres romanesques croisées d'Elsa Triolet et Aragon, t. 15, p. 89)

Aus - Extrait de la Première partie, ch. IX

[Pascal de Sainteville, le grand-oncle de Pascal Mercadier:] Je préfère encore un anarchiste comme lui [= l'oncle Blaise] à ces gentilshommes commerçants... Que veut-on qu'ils deviennent, nos fils et nos neveux, aujourd'hui [= les jeunes aristocrates]? Officiers de cavalerie? Curés de campagne? Ce qui vous a l'air généreux dans l'anarchie les entraîne... Ils ne sont plus rattachés à rien, les idées les emportent... C'est le vieil esprit de chevalerie qui se survit... [...] L'essentiel de la noblesse, petit roturier, ce n'est pas la particule, c'est l'honneur! L'honneur! Est-ce qu'on sait ce que c'est aujourd'hui? (OEuvres romanesques croisées d'Elsa Triolet et Aragon, t. 15, p. 90-91)

Aus - Extrait de la Première partie, ch. X

M. Meyer lui [= à Pierre Mercadier, son collègue] fit connaître Wagner, autant que c'est possible au piano. Les paroles wagnériennes prirent pour Pierre une puissante et familière poésie. Il lisait couramment l'allemand, qu'il baragouinait. Tristan et Isolde devinrent la compensation sublime de sa vie de ménage. Wagner avait un petit goût d'interdit, à cause de 1871. Pierre s'assurait qu'il était, au fond, germanophile. C'était la forme tacite de sa protestation contre un monde médiocre. (OEuvres romanesques croisées d'Elsa Triolet et Aragon, t. 15, p. 95)

Aus - Extrait de la Première partie, ch. XI

L'année de la première communion était aussi celle où l'on commençait vraiment le latin, la sixième. [...] O mystères de l'ablatif absolu! Ces jeunes garçons tourmentés par leurs cols durs, avec leurs gros bas noirs, leurs manches de listrine pour ne pas se mettre de l'encre à leurs habits, tailladant en cachette le couvercle fatigué des pupitres, abordent tout un coup les responsabilités de la vie par le biais étrange des langues mortes. Turba ruït ou ruunt... Si singulier que cela puisse paraître, l'étude du latin a détourné Pascal de la religion à laquelle il allait mordre. Il se croit païen. Il voudrait déjà lire Virgile. Il est troublé au fond de lui-même parce qu'il sait qu'il va faire une mauvaisse communion. Et peut-être qu'il eût mieu valu attendre après l'initiation divine pour apprendre à décliner urbs ou manus. (OEuvres romanesques croisées d'Elsa Triolet et Aragon, t. 15, p. 98)

Aus - Extrait de la Première partie, ch. XI

Non que Pascal pensât à proprement parler ceci ou cela, à l'âge de onze ans, sur la politique. Mais il ne pouvait pas ne pas se définir par l'opposition. (OEuvres romanesques croisées d'Elsa Triolet et Aragon, t. 15, p. 100)

Aus - Extrait de la Première partie, ch. XII

[Meyer:] - Alors? Qu'est-ce qui vous a dégoûté de l'amitié, des amitiés?
[Pierre Mercadier:] - Rien, rien précisément. Peut-être que c'est un sentiment qui ne dépasse pas un certain âge chez l'homme. Les femmes... Mais non,quand j'y pense ce n'est pas ça...
[...]
- Au fond, il faut être franc. Ça s'est passé tout autrement... [...] Le vrai, - dit-il, - c'est que je les avais pris en grippe, en haine, mes amis. Il m'a fallu longtemps pour faire mon point de solitude. Pendant ce temps-là, mes amis allaient bon train. Ils se formaient une idée de moi. Je les voyais l'accréditer autour de nous, me comparer à elle. Parfois je me trouvais agir pas comme il était entendu que j'agirais... On ne m'en demandait pas des comptes, mais... Les autres prenaient un droit sur mon passé. Ils ne me permettaient pas de penser ceci ou cela de faits dont ils prétendaient rester les insupportables témoins..."
[...]
J'avais une histoire, une figure, grâce à mes amis. Vous auriez pu dire qui j'étais. Ce que je pensais, ce que je me permettais de penser, à tout coup on le comparait à ce que j'avais dit au moins dix fois... l'autre année... quand... quand... enfin! Les gens sont singuliers. Ils interprètent vos actes. Ils veulent en comprendre la logique. Un homme nu, tous peuvent voir les parties exposées de son corps... Cela se nomme l'amitié. Jolie invention! On se consent comme cela des amis, par faiblesse. Il y a tant de vides dans les jours... Puis on est jeune, imprudent... Quand on pense à sa propre mort, il y a de quoi devenir fou à l'idée de ce que les gens diront de vous, par la suite... Les amis... Ils se mêleraient de m'ordonner, de se souvenir, de démentir, de corriger. Ça fait froid dans le dos... Et de mon vivant, des amis, ce sont des gens que je ne peux aborder sans faire un effort pour me conformer à cette image qu'ils ont de moi... pas tous la même... quelle comédie! Devant un ami, à cause de ce passé qu'on traîne, on se sent un meurtrier qui assiste perpétuellement à des reconstitutions de son crime... Pourtant ils ne savent rien de moi... Ils ne peuvent rien en savoir... Je changerai pour leur confusion... Je ferai des choses folles...
(OEuvres romanesques croisées d'Elsa Triolet et Aragon, t. 15, p. 105-106)

Aus - Extrait de la Première partie, ch. XII

[Meyer:] Un optimiste, Mercadier, c'est un optimiste... et un crétin! (OEuvres romanesques croisées d'Elsa Triolet et Aragon, t. 15, p. 106)

Aus - Extrait de la Première partie, ch. XIV

[Extrait du livre de Pierre Mercadier sur John Law:] "S'il n'y avait point d'autres raisons de les écrire, c'en serait une suffisante pour prouver la nécessité des vies des hommes célèbres que le vif désappointement qu'elles apportent au lecteur. Les biographies les plus riches, une fois qu'on les a résumées avec les caractères de l'imprimerie, qu'on les a réduites aux caractères d'imprimerie, paraissent, dans le meilleur cas, si essentiellement limitées, que leur morale en est immanquablement une amertume, qu'on applique fatalement à la vie tout entière. Alexandre, ou Newton, nous fait, mieux que le commun des mortels, comprendre l'insignifiance de notre destin; le sic transit gloria mundi qui a enrichi les églises n'arrive jamais mieux à sa fin confondante que lorsqu'il suit le récit d'une existence et glorieuse, et pleine, et qu'on tenait pour exemplaire.
"On pensera peut-être qu'il en faudra tenir rigueur au biographe et non point au talent de l'homme raconté. Plutarque, Commines, Saint-Simon et Las Cases pourtant nous autorisent à en juger autrement. Les péripéties pour compliquées qu'elles soient, de la vie d'un roi grec, d'un aventurier florentin, d'un explorateur français, se réduisent après tout à ces quelques pages, à ces paragraphes secs, ces phrases cernées. Le plus gros livre du monde ramène une vie (la plus riche, la plus longue) à moins de vingt-quatre heures de lecture, si l'on compte qu'un lecteur normal lit vingt pages à à l'heure. Quelle pauvreté!
"On peut en déduire, si l'on veut, que les oeuvres de l'homme sont incapables de résumer sa vie. Il me paraît plus raisonnable de penser que les biographies reflètent bien les vies humaines, et qu'elles démontrent les images fantastiques que nous nous en faisons. De telle sorte que le premier bienfait des biographies est de jeter sur la destinée de l'homme la lumière cruelle de l'insignifiance et de l'inutilité.
"Aucune idée ne nous est plus horrible et difficile à accepter. Si ce n'est peut-être celle de la mort, telle qu'elle est, c'est-à-dire sans au-delà, sans tricherie avec le néant, avec la poussière. Notre puérilité les refuse l'une et l'autre, au mépris de tout témoignage de la science. Mais encore voulons-nous bien mourir, et tout à fait, si nous avons du moins vécu. Lisez toutes les biographies qu'ont laissées derrière eux les plus grands des hommes et vous verrez qu'il vous faut abandonner cette consolation.
"Je répète que c'est par ceci que les biographies se justifient, qu'elles trouvent leur excuse, et celle du biographe. Les biographies jouent pour l'esprit humain un rôle qui s'oppose à celui des romans; et pour peu qu'on me suive, on conviendra que l'existence des biographies ressemble à une condamnation formelle de tout roman. Je rassurai pourtant les romanciers sur keur gagne-pain, car le roman, inutile à tout autre point de vue, conserve pourtant l'utilité du mensonge dans la vie. Utilité qui est grande.
"L'historien-biographe qui prend conscience de la valeur de destruction que porte en elle l'histoire et toute biographie, devient par là même une sorte de moraliste pascalien. Il tira sa grandeur de la quantité de désespoir qu'il amoncelle et détermine. On pourra aussi bien le considérer comme l'ennemi de l'humanité que comme son plus fidèle traducteur. Dans la mesure où son talent lui donne pouvoir sur ceux qui le lisent, on aura aussi bien raison de le brûler que de lui élever des statues.
Je doute que ces considérations me vaillent l'estime de mes confrères historiens, qui se croient généralement intéressés à accréditer d'eux-mêmes, et de leurs oeuvres, une conception fort différente. J'en suis fort ennuyé, et les alchimistes apparemment se fussent irrités de même si l'un d'eux, soudain, leur eût assigné le rôle et les fonctions qu'acceptent aujourd'hui sans étonnement leurs successeurs, les chimistes. L'histoire ne s'élèvera jamais à la science ni les historiens n'atteindront à leur mission véritable, tant qu'elle n'aura pas, qu'ils n'auront pas abandonné, sans esprit de retour, la recherche de la pierre philosophale particulière, qui fait d'eux des mages attardés, des charlatans de la destinée humaine.
[...]
[...] le point essentiel auquel je m'attache; c'est-à-dire qu'il n'y a pas de destinée de l'homme, non plus que de but quelconque à son activité terrestre, et que le seul sens de la vie est le désordre, cette résultante complexe des forces matérielles, que les hommes pour se rassurer, appellent par antiphrase l'ordre naturel, sans prendre garde que le substantif ici est nié par l'adjectif qu'on lui adjoint: car mettre de l'ordre suppose bousculer la nature, ou si l'on identifie ordre et nature, l'ordre humain est à proprement parler le désordre.
(OEuvres romanesques croisées d'Elsa Triolet et Aragon, t. 15, pp. 115-118)

Aus - Extrait de la Première partie, ch. XIX

[Blanche Pailleron à Pascal de Sainteville] [...] Oui je suis incroyante, mais pas irrespectueuse des choses de la religion... C'est trop tard, ce genre de rapport entre un homme de la religion et moi ne peut plus s'établir: je le regrette... je regrette de ne pas croire, même au mensonge... Nous avons besoin de nous ouvrir à quelqu'un, c'est de notre nature... Et ?a un homme bien sûr, quelle confiance avoir dans une autre femme? dans une autre faiblesse?
[Pascal de Sainteville] - Il y a d'autres hommes que les prêtres.
- Les rapports des hommes et des femmes sont faussés. Dès qu'ils deviennent intimes, dès qu'ils touchent à l'essentiel, on trébuche...
(OEuvres romanesques croisées d'Elsa Triolet et Aragon, t. 15, p. 142)

Aus - Extrait de la Première partie, ch. XXV

Monter dans la société ne lui[= à Pierre Mercadier] paraissait pas un idéal. D'une façon d'ailleurs toute platonique, il pensa que sa sympathie allait à ceux qui descendaient, aux déclassés... [...] Il avait un préjugé favorable, Pierre, pour les gens qui se ruinent.(OEuvres romanesques croisées d'Elsa Triolet et Aragon, t. 15, 168)

Le professeur peu sensible à la poésie des contremaîtres qui épousent la fille du patron, e qui le frappait, c'était de retrouver par-derrière son interlocuteur, ces visages pathétiques et inconnus qui avaient sombré fatalement, à cause du vertige de désagrégation qu'il y a dans le monde. Quand on tient un objet à la main, on a parfois l'envie de le lâcher, pour voir les morceaux qu'il ferait en se cassant, entendre le bruit de cette petite catastrophe. Plus répandue qu'on ne croit, cette perversité des, je ne dirai pas des riches, ce n'est pas la question, mais des élites. (OEuvres romanesques croisées d'Elsa Triolet et Aragon, t. 15, p. 168)

Aus - Extrait de la Première partie, ch. XLIV

Quand la mort survient dans un monde sans grandeur, comme une figure d'épouvante en carnaval, le brusque désaccord des gestes quotidiens et de la peur, des mesquineries de la vie et du mystère de la tombe, saisit l'entourage du nouveau cadavre, y donne à chaque mot, à chaque souffle une allure de blasphème et de dérision, à chaque insignifiant épisode des longs et absurdes jours par quoi se prolonge une existence dans le marasme des survivants, ce faux caractère de solennité, dont approchent seuls les opéras à leurs minutes extrêmes de l'affectation. On ne sait pourquoi, l'été aggrave ce caractère de fausseté, cet atroce mensonge de la mort. Le divorce du beau temps, de la chaleur, avec le deuil peut-être, ou pire: les difficultés où sont les indifférents de maintenir leur aspect d'affliction, quand la sueur s'en mêle, et les mouches bourdonnantes, et l'odeur terrible qui monte du lit, emplit la pièce, dont on ne peut ouvrir les fenêtres à un soleil profanateur. (OEuvres romanesques croisées d'Elsa Triolet et Aragon, t. 15, p. 245)

Aus - Extrait de la Première partie, ch. XLVII

[Blaise d'Ambérieux:] C'est drôle... Nous bourlinguons dans un siècle où la technique, enfin les trucs, quoi! passe pour l'essentiel. [...] Ce qui peu à peu disparaît de la peinture, c'est l'homme... Oh, je sais, Renoir fait des baigneuses, et puis après? Nos grands peintres, et c'est là leur grandeur, peignent indistinctement toute chose. La chair est une autre sorte de pomme, ou de pierre. Ou plutôt, voyez-vous, ilspeignent la chair, des vêtements, pas des gens. J'aurais voulu peindre des gens. [...] Peu à peu, les peintres abandonnent une part de leur sacré boulot. Sans s'en rendre compte, à ,esure qu'ils plongent dans la matière! Eh bien, ils deviennent des artistes à leur manière, ils n'aiment plus que les reflets d'une soie très précieuse, c'est vrai, mais qui n'est qu'une soie... [...] on n'a plus droit à la scène dans un tableau... Ou on est un pompier. Personne ne fixera donc ce qui se passe d'extraordinaire entre deux êtres qui se croisent dans une porte? J'en ai peur... [...] La peinture, c'est tout de même un reflet de la vie.(OEuvres romanesques croisées d'Elsa Triolet et Aragon, t. 15, p. 257-258)

Aus - Extrait de la Première partie, ch. XLVII

[Blaise d'Ambérieux:] On se détache de ce monde grégaire, de ce troupeau organisé [= la famille]. [...] Et quand on regarde les autres, on ne regrette rien. Ils sont laids, puants et plats. Ils ont tous les pieds pris dans de petites saletés dont l'amalgame fait la grande saleté qui nous écoeure.Merci. Je dégage ma responsabilité. Que ce monde absurde roule sans moi! Je m'en lave les mains... (OEuvres romanesques croisées d'Elsa Triolet et Aragon, t. 15, 259)

Aus - Extrait de la Première partie, ch. XLVIII

[Pierre Mercadier:] Le terrible malheur de n'être pas aimé. Avoir stupidement cru, à quarante ans passés, à cette invention romanesque, à cette folie de l'amour. Il ne se le pardonnait pas. Ni aucune de ces pensées burlesques et délirantes auxquelles il s'était laissé aller. [...] Négligeant les données pesantes de l'existence, comme des chaînes tombées, il avait imaginé une aventure enfantine, un monde fantastique, où Blanche et lui se rejoignaient comme dans les chansons, comme si les gens n'avaient pas été stupides, laids, menteurs, l'amour une chiennerie, la société un traquenard, un piège immense d'où l'on ne sort pas. Car, bien entendu, les petits mots meurtriers de Blanche: parce que je ne t'aime pas n'expliquaient rien, rien... Ils traduisaient, ils trahissaient la dégoûtation universelle. Sans doute ne l'aimait-elle pas, elle ne pouvait pas l'aimer, aime-t-on à proprement parler dans cette vie, dans la vie? Dire qu'il y a des imbéciles qui se tuent pour ça... (OEuvres romanesques croisées d'Elsa Triolet et Aragon, t. 15, p. 264)

Aus - Extrait de la Première partie, ch. XLIX

[Monseigneur à Pierre Mercadier:] C'est une étrange chose qu'une famille... tout au moins telle que nous l'entendons... (OEuvres romanesques croisées d'Elsa Triolet et Aragon, t. 15, p. 268)

Aus - Extrait de la Première partie, ch. L

[Monseigneur à Pierre Mercadier:] Et puis, ces choses ne me sont pas si étrangères, que je ne puisse reconnaître dans cet espoir insensé qu'un homme met un beau jour dans une créature de Dieu, la soif d'infini qui est en nous, une des formes de la foi chrétienne... [...] Et enfin, ce qui est coupable aux yeux du monde, à ceux d'un vieil homme qui a fait sacrifice de tout cela, prend un sens que vous ne savez pas: je ne juge, ni ne condamne... Les hommes veulent sans cesse croire une fois de plus au bonheur, et c'est ainsi qu'ils se rendent épouvantablement malheureux. C'est leur nature, vous n'y échappez pas. [...] Vous avez fait un rêve insensé. Je vous dis que je peux comprendre ce qu'un tel rêve comporte de sentiments élevés, de noblesse... alors que ce qu'on appelle communément le devoir... Je peux le comprendre... Tout recommencer... Quel courage! Seulement étiez-vous prêt à affronter les ruines? Toutes les ruines? (OEuvres romanesques croisées d'Elsa Triolet et Aragon, t. 15, p. 275)

Aus - Extrait de la Première partie, ch. LI

Tout fait symbole à qui a dans la tête une idée rongeante et mal réprimée. Tout ramène à cette image d'une défaite, qui a des gestes de femme, qui a les gestes d'une femme. (OEuvres romanesques croisées d'Elsa Triolet et Aragon, t. 15, p. 280)

Aus - Extrait de la Première partie, ch. LI

[Pensées de Pierre Mercadier: L'argent... Il n'y a pas de sentiments, il n'y a que l'argent. [...] Les sentiments, ce sont les billets de banque des rapports humains. On en tire, on en tire tant que la presse marche. Ils finissent par ne plus représenter qu'un métal fictif. [...] Le chantage s'appuie sur les enfants. Tu as donné la vie, tu es prisonnier de ceux que tu as engendrés, c'est-à-dire de leur mère. La société s'est ainsi créée. Elle te juge. Elle te condamne. Prison à vie. Tu es fait, mon pauvre vieux, fait comme dans un bois. (OEuvres romanesques croisées d'Elsa Triolet et Aragon, t. 15, p. 280-281)

Aus - Extrait de la Première partie, ch. LIII

Était-ce le désoeuvrement qui avait ramené Pierre à cet ouvrage d'histoire qu'il avait récemment délaissé? [...] Il avait beau faire, le thème de Law [...] le ramenait sans cesse à lui-même, par des chemins détournés. C'était une chose étrange comme il ne pouvait rien imaginer qui ne tournât autour de lui-même... Bien sûr, c'était fort bien ainsi, et que des liens mystérieux existassent entre son héros et lui-même était sans doute satisfaisant à penser. Mais cela ne devait pas transparaître dans l'écriture. Il y a avait tout un passage où il se retrouvait trop lui-même, où il se trahissait. (OEuvres romanesques croisées d'Elsa Triolet et Aragon, t. 15, p. 290)

Aus - Extrait de la Première partie, ch. LIII

Écrire, c'est parfois s'abstraire, mais cela peut vous ramener au pire de vos rêves. (OEuvres romanesques croisées d'Elsa Triolet et Aragon, t. 15, 291)

Aus - Extrait de la Première partie, ch. LIII

[Pierre Mercadier:] Toute l'histoire du monde est celle de l'argent. (OEuvres romanesques croisées d'Elsa Triolet et Aragon, t. 15, p. 291)

Aus - Extrait de la Première partie, ch. LIII

[Pierre Mercadier:] Les gens sont bêtes. Ils ne voient jamais en vous un être humain, et rien de plus. Non. Vous êtes professeur. Français, et ci, et ça, c'est comme si on portait trois ou quatre vestons l'un sur l'autre... (OEuvres romanesques croisées d'Elsa Triolet et Aragon, t. 15, 293)

Aus - Extrait de la Première partie, ch. LIV

Inutile de se jouerla comédie: que voulez-vous que fasse un homme laissé à lui-même? On peut bien aller entendre de la musique, mais pas tout le temps. Les journées sont longues et pareilles. Pour s'occuper la tête, il n'y a que les femmes. Naturellement, à quarante ans sonnés, ce n'est pas tant coucher qui vous attire... Non, mais la diversité des femmes, leurs approches, l'espèce de jeu équivoque des rencontres, le glissement singulier des mots échangés, d'une banalité amère, à la conversation, à la découverte d'un être vivant. Après... Ma foi, on couche surtout parce qu'on ne trouve pas toujours des portes de sortie. Et puis même alors: c'est la particularité d'un corps, son abandon, des similituessubites avec d'autres femmes, l'inattendu d'une existence surprise, les parfums, des manières d'être... enfin cent mille choses indiscernables qui font le prix de ces passades, plus que le plaisir qu'on y prend. (OEuvres romanesques croisées d'Elsa Triolet et Aragon, t. 15, p. 297)

Aus - Extrait de la Première partie, ch. LV

[Blaise d'Ambérieux à Pierre Mercadier:] Tenez, je crois à l'art, si bête que ça sonne, à la beauté, à toutes sortes de fantaisies... pour lesquelles je me ferais crever la peau tout aussi bien que ceux qui croient à l'Alsace-Lorraine... Je crois que les hommes un jour seront meilleurs... Je ne le verrai pas... j'y travaille à ma façon... avec de la conscience dans mon métier... en tâchant de dessiner vrai, de ne pas mettre n'importe quelle couleur sur ma toile pour boucher un coin où je n'ai rien à dire, de faire mon boulot de mon mieux, sans chiqué, pour pouvoir le regarder et me dire: c'est peut-être pas génial, mais c'est bien fait, je ne crains pas qu'un blanc-bec en fasse autant par hasard... (OEuvres romanesques croisées d'Elsa Triolet et Aragon, t. 15, p. 303)

Aus - Extrait de "Deux mesures pour rien. I. Venise", ch. VII

Accoudé au mur crénelé de Vérone, il pense que si le héros véritable des temps de l'ancienne liberté était le condottiere, le héros d'aujourd'hui, dans le monde de l'industrie, du crédit et du papier-monnaie, c'est après tout l'homme à l'identité fuyante, qui glisse entre les mailles de la loi, ne s'embarrasse d'aucune des sottises de convention, sans place assignée ici ou là, maître de son destin, défiant les limites fixées à une existence, et dont l'histoire est faite de cent romans, de cent désastres... Oh, il y aurait àécrire pour un Plutarque des temps modernes! (OEuvres romanesques croisées d'Elsa Triolet et Aragon, t. 15, p. 372)

Aus - Extrait de "Deux mesures pour rien. I. Venise", ch. VII

Mais c'est à Vérone devant l'Adige que Mercadiercomprit soudain que la loi morale du monde, c'est le jeu. (OEuvres romanesques croisées d'Elsa Triolet et Aragon, t. 16, p. 373)

Aus - Extrait de "Deux mesures pour rien. II. Monte-Carlo", ch. IV

Absurde orgueil d'homme: si une femme vous parle soudain, se promène avec vous, vous enragez parce que le soir même elle ne couche pas avec vous. Pourtant c'est ainsi. Pas un homme qui soit fait autrement, et qui ne s'accuse d'avoir agi comme un niais, et qui ne tienne la femme pour une garce. Elle n'avait rien promis, manqué à aucun engagement. Mais enfin qu'est-ce qu'elle voulait qu'il pensât? Qu'est-ce qu'une femme cherche auprès d'un homme? Qu'est-ce qu'il y a de possible entre un homme et une femme excepté ça? Rien, rien, rien. OEuvres romanesques croisées d'Elsa Triolet et Aragon, t. 16, p. 28)

Aus - Extrait de "Deux mesures pour rien. II. Monte-Carlo", ch. IV

Il [= Pierre Mercadier à Reine Bercy] parla de ce Law dont il n'avait rien montré à personne, la préface exceptée qu'il avait lue à Meyer, justement à Meyer. Il y mettait un feu dont il ne se croyait pas capable; il y avait, à l'en croire, dans ce Law une série de thèmes entrecroisés sur la destinée de l'homme, une tentative d'expliquer les problèmes complexes de la volonté et du sort, l'opposition du génie, de l'individu et de la société. Et cela pas directement, par la bande. Sur cet exemple bien particulier d'un financier mal connu, mais où chaque homme, en le lisant, aurait pu croire, aurait pu reconnaître une image travestie de lui-même. Le XVIIIe siècle, on y expliquait le Panama, les jours derniers de ce siècle-ci, ses mensonges... Ma vie, après tout, ma vie. Imaginez-vous que, lorsque Law doit fuir Paris, c'est à Venise qu'il se réfugie [...].
[...]
Je vous en donne sans doute une idée fausse: ce n'est qu'un essai historique où je m'étais un peu laissé aller...
[Reine Bercy:] Non, non, c'est cela qu'on appelle un roman. Pas Bourget naturellement. Mais, n'est-ce pas? vous l'écriviez d'abord, quand vous avez commencé, dans un butprofessoral, en accord avec ce que vous étiez... ce que vous croyiez être... Et puis peu à peu, c'est bien cela? le livre se modifiait parallèlement à votre propre vie, il s'écartait de la liugne initiale, votre vie le pénétrait, il devenait un peu votre confesseur, un moyen de vous comprendre. C'était déjà de la psychologie... Si vous l'aviez emporté avec vous, il aurait peuplé votre nouvelle vie, et il aurait reçu d'elle des reflets différents... Ce serait devenu pour de vrai un roman... OEuvres romanesques croisées d'Elsa Triolet et Aragon, t. 16, pp. 31-32)

Aus - Extrait de la Deuxième partie, ch. V

Ils ne voyaient pas dans l'oeil volontairement éteint de leur commensal le mélange abominable de dégoût et de peur qui accompagnait ces petites manifestations concertées. Pierre avait senti passer la mort. Contre la mort, on ne fait pas le dégoûté dans le choix de ses alliés. (OEuvres romanesques croisées d'Elsa Triolet et Aragon, t. 16, p. 82)

Aus - Extrait de la Deuxième partie, ch. IV

Oui, - continuait Pierre en jouant avec son couteau, - je vois bien que vous vous êtes inspiré de certains faits... mais avec discrétion... ce ne sont pas tant les faits qui comptent, que le personnage bâti... les idées... l'imagination... votre apport personnel... Intéressant, intéressant... [...] Si vous me demandiez ce qui est ressemblant, ce serait plus simple... [...9 Eh bien, rien, à franchement parler. Rien. Les faits peut-être, un homme de quarante ans qui s'en va un beau jour... Mais la psychologie! Cette psychologie profonde... et légère à la fois... Je me suis bien diverti. Vous êtes très subtil. (OEuvres romanesques croisées d'Elsa Triolet et Aragon, t. 16, pp. 74-75)

Aus - Extrait de la Deuxième partie, ch. VI

[Pierre Mercadier:] Les néophytes sont des gens dangereux. (OEuvres romanesques croisées d'Elsa Triolet et Aragon, t. 16, 89)

Aus - Extrait de la Deuxième partie, ch. VIII

[Pierre Mercadier:} Ce n'est pas le plaisir qui compte, mais le potentiel du plaisir. (OEuvres romanesques croisées d'Elsa Triolet et Aragon, t. 16, p. 101)

Aus - Extrait de la Deuxième partie, ch. XVII

[Pierre Mercadier:] "Vous rappelez-vous, madame Tavernier, quand on est jeune, il semble qu'on pourrait faire n'importe quoi... Il y a entre les choses, les gens et nous, un rapport immédiat, auquel on n'a jamais réfléchi, qu'on n'a pas remarqué, parce qu'on a toujours été ainsi, qu'on n'a jamais pensé le monde que dans ce rapport-là, et puis... Enfin tout se passe comme si ce rapport n'existait pas, puisqu'on n'en a pas conscience, et puis... Un beau jour, comme ça, on s'aperçoit que ce rapport existait, parce qu'il n'existe plus. C'est là ce qu'on appelle la vieillesse. [...]
Être ou ne pas être, madame Tavernier, c'est un problème de jeune homme... La vie se charge de résoudre ces problèmes-là avec une vitesse effrayante. Il y a des jours où l'existence entière m'apparaît comme une minute. Pourtant Dieu sait si ça a pu être long, et bête, et sournois... Être ou avoir été, voilà comment il aurait fallu dire... Être, cela va de soi, c'est avoir la force, c'est... Mais avoir été. Comprenez-moi, on supporte facilement le drame évident de la vieillesse, ne plus pouvoir patiner par exemple, ou grimper des montagnes. L'abominable, ce sont les surprises, les choses auxquelles on ne pensait plus, et puis le souvenir tout d'un coup, précis, banal, de comment c'était... et comment c'est."
(OEuvres romanesques croisées d'Elsa Triolet et Aragon, t. 16, p. 135-136)

Aus - Extrait de la Deuxième partie, ch. XVII

Ainsi vont les meilleures conversations du monde: chacun parle et rêve pour soi, on ne s'accroche que par le hasard d'un verbe, d'une image, et on en garde l'impression bouleversante de l'échange des idées. (OEuvres romanesques croisées d'Elsa Triolet et Aragon, t. 16, p. 136)

Aus - Extrait de la Deuxième partie, ch. XXIII

La vie est un voyageur qui laisse traîner son manteau derrière lui pour effacer ses traces. (OEuvres romanesques croisées d'Elsa Triolet et Aragon, t. 16, p. 175)

Aus - Extrait de la Deuxième partie, ch. XXXIII

[Pascal Mercadier à Reine von Goetz:] Qu'est-ce au fond qui m'attache à tout cela comme une mouche dans une toile d'araignée? L'homme veut s'en aller, être libre, c'est bien naturel... Je n'y pense pas. À cause de mon père. Je sais que c'est à cause de mon père. Sa liberté a fait ma prison, tu saisis? Heureusement qu'il y a les femmes... toutes les femmes... Une nouvelle femme, vois-tu, c'est comme une fenêtre qu'on ouvre... le mystère... le large... c'est doux comme de marcher dans la nuit... (OEuvres romanesques croisées d'Elsa Triolet et Aragon, t. 16, 236)

Aus - Extrait de la Deuxième partie, ch. XXXVII

[Extrait du manuscrit de Pierre Mercadier sur John Law:]
Nous nous attristons du malheur des grands hommes comme de l'effet injuste d'une fatalité à leur taille. Est-ce qu'il y a dans la vie un seul roman heureux? Est-ce que chaque vie humaine, la plus humble, ne se termine pas de façon tragique? Le rocher de Napoléon n'est rien d'autre que l'alcôve où se termine toute aventure, et tous les lits des maisons de Paris ont été les témoins d'agonies qui valent Ugolin, le Chevalier de la Barre ou Maximilien.
C'est vers cette issue horrible de la vie que nous sommes tous portés, inconscients du mouvement qui l'anime, du mécanisme de la locomotion, par un immense omnibus lui-même destiné aux catastrophes. Je me souviens d'avoir un soir traversé Paris aux premières lumières sur l'un de ces véhicules cahotants, parreil à une baleine qui glisse sur les ombres naissantes. C'était un soir que je me sentais inquiet et triste, la tête bourrée des chiffres dont dépendait ma liberté, des cours de la Bourse et des noms d'actions et de titres, comme une pauvre cervelle dépossédée qu'habitent les monstres du calcul. Tout d'un coup tout me sembla étrange, les cafés, les boulevards, les pharmacies. Je me mis à regarder mes voisins de l'impériale non plus comme des compagnons de hasard, qui s'égailleraient aux stations successives, mais comme les voyageurs mystérieusement choisis pour traverser avec moi l'existence. Je me mis à remarquer que déjà, sur un parcours bref, des liens s'étaiemt formés entre nous, le sourire d'une femme, le regard appuyé d'un homme, deux vieillards qui avaient lié conversation: une ébauche ds société. Et je pensais avec une espèce d'horreur que nous étions, nous à l'instant encore des étrangers, également menacés par un accident possible. De telle sorte que ce qui se passait en bas, entre les chevaux et la rue, et dont nous n'étions pas informés, risquait de créer entre nous une solidarité mortelle, et une intimité pire que l'intimité de l'amour, celle de la fosse commune. J'étais d'humeur à philosopher, parce que tout m'était amer. Je pensais que cette impériale était une bonne image de l'existence, ou plutôt l'omnibus tout entier. Car il y a deux sortes d'hommes dans le monde, ceux qui pareils aux gens de l'impériale sont emportés sans rien savoir de la machine qu'ils habitent, et les autres qui connaissent le mécanisme du monstre, qui jouent à y tripoter... Et jamais les premiers ne peuvent rien comprendre de ce que sont les seconds, parce que de l'impériale on ne peut que regarder les cafés, les réverbères et les étoiles; et je suis inguérissablement l'un d'eux, c'est pourquoi John Law qui inventa une façon d'affoler la machine restera toujours pour moi , malgré cette curiosité que je lui ai portée, un homme que je ne pourrai jamais me représenter dans les simples choses de la vie, flânant par exemple ou s'achetant des fruits chez l'épicier, ou jouant avec de petits enfants. Comme il est de toute vraisemblance qu'il fit, et ce n'est pas moins important à connaître de lui, que les opérations par lesquelles il créa la Compagnie des Indes. Voilà quarante années et plus que les miens et moi-même nous faisons vers une fin qui sera sans doute sinistre un chemin que je n'ai pas tracé, que personne n'a tracé. Peut-être pourrais-je m'expliquer l'étrange intérêt que j'ai porté à Law par cette croyance que j'ai qu'il a été l'un des rares hommes qui firent dévier le monde. Il n'était pas, lui, un voyageur de l'impériale...
(OEuvres romanesques croisées d'Elsa Triolet et Aragon, t. 16, pp. 253-254)

Aus - Extrait de la Deuxième partie, ch. XXXVII

[Reine von Goetz:] Ça sent la guerre. Cela fait des années et des années que j'ai peur de la guerre. Mets-toi à ma place, mi-française, mi-allemande... Tout ce que j'ai fait... J'ai fait tout ce que j'ai pu pour rapprocher les Français et les Allemands... Heinrich aussi... Mais vois-tu, on sent que ce qui arrive lentement est plus fort que nous... Lentement... La guerre... J'ai fait ce que j'ai pu... (OEuvres romanesques croisées d'Elsa Triolet et Aragon, t. 16, 256)

Aus - Extrait de la Deuxième partie, ch. XL

[Pierre Mercadier:] Mais qu'est-ce qui est juste,qu'est-ce qui est injuste? On ne sait plus. Si je m'étais trompé du tout au tout... sur toutes les choses? Et pas moyen de revenir en arrière. On ne vit sa vie qu'une fois. Une pauvre petite fois. (OEuvres romanesques croisées d'Elsa Triolet et Aragon, t. 16, p. 268)

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Letzte Änderung - Dernière mise à jour: 10.02.98

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