LOUIS ARAGON ONLINE

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Adrienne Monnier sur Aragon
(1946)


Mémorial de la Rue de l'Odéon

[...] Entre temps, j'avais fait la connaissance de Louis Aragon, venu peu après Breton à ma librairie, et de Philippe Soupault.

Louis Aragon était alors en pleine possession de son prénom et d'une ombre de moustache. C'était bien le plus gentil, le plus sensible garçon qu'on eût su voir. Et le plus intelligent aussi. Avec lui, on pouvait s'entendre. Il adorait la poésie sans lui demander trop d'insolite. Quand je le connus, il faisait, je crois, sa première année de P.C.N. Il avait un Verlaine et un Laforgue dans ses poches et il était fort choqué de la grossièreté de ses camarades. Je me souviens d'une de nos premières conversations où il me confia que l'ineptie et l'obscénité des propos qu'il entendait à l'amphithéâtre n'étaient pas loin de lui mettre les larmes aux yeux.

C'était déjà un causeur remarquable. Il pouvait parler pendant deux ou trois heures avec faconde et ce léger ton nasal qu'il n'a pas perdu, je crois, et qui traduit sa manière ironique : le défi gignol, l'emportement badin. Il arrivait que Suzanne Bonnierre, quittant la librairie vers trois heures de l'après-midi pour aller faire des courses, le retrouva à six heures, à la même place, debout dans l'embrasure de la vitrine, plongé dans son discours élégant qui n'avait pas subi d'arrêt et où ne se marquait nulle fatigue.

Un jour, il franchit notre seuil des gants clairs à la main. Il devait faire une visite de cérémonie dans le quartier. Cette visite, il l'oublia si bien dans le feu et les flots de sa parole que, vers la fin de l'après-midi, nous vîmes une personne plutôt furieuse (sa soeur aînée, nous dit-il ensuite [en vérité sa mère; W.B.]) ouvrir brusquement la porte : "Mais enfin, Louis, il y a deux heures que je t'attends! Tu n'es pas fou?"

Nous l'aimions beaucoup, naturellement, et nous ne doutions pas une seconde qu'il ne devînt un brillant littérateur.

[...]

Soupault était à la fois le plus gracieux et le plus griffu des trois [Aragon, Breton, Soupault]. Sa diablerie était peut-être moins naturelle [...]. Il se blessait donc beaucoup plus qu'il ne blessait autrui, et il lui en coûtait singulièrement de se mettre en guerre contre la société. [...]

Aragon, non plus, ne semblait pas être né pour tant de prouesses, mais dès qu'il fut entré dans le jeu, il se trouva fort content de satisfaire sa gaminerie, d'autant plus qu'il avait l'encouragement et l'approbation de qui avait su lui imposer une autorité quasi paternelle. Il pouvait aller fort dans la bataille, étant revêtu d'une belle cuirasse de littérature.

Adrienne Monnier : Rue de l'Odéon, p. 101-


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06.11.2000

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