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Frédéric Ferney sur Aragon

(1997)

[...]
Où le situer, entre la soumission et l'esclandre?
C'est toujours un jeune homme qui se récrie et qui se déplore: Tous ce que je sais, je l'abaisse. C'est celui-là, lui, et lui seul, qui m'importe et qui me demeure incompréhensible. (p. 18)
[...]

Plus je te lis, moins je te connais, et plus je te désapprouve, et plus je t'aime, pardon! On n'aime pas forcément qui mérite de l'être, et c'est cela qui est beau, sinon on ne saurait aimer qui que ce soit. L'amour n'est-il pas toujours déjà là, au-dessus ou à côté de nos mérites? (pp. 19-20)

[...]

Ce cerf aux abois qui se mire à la dérobée dans les frayeurs et l'ignominie de la meute,
cet amant triste, ce veuf gai, puis gay, puis gaga, ce trublion coiffé un matin par Dada, mais si tu salis ton beau gilet tout neuf, gare à toi, Louis! tu seras puni par Maman, au piquet, mon garçon!
Et que je me drape dans mes erreurs, et que je farde mes agonies, en me mordant le pouce, et que je plaide obstinément coupable!
L'infini, est-ce aux antipodes du bonheur? Et comment, par quelle.bizarrerie, cette forte tête finira-t-elle par s'engager, au-delà des écueils et des songes que son cerveau invente, hordes! brumes! légions! sur une voie étroitement surveillée?
Je ne sais.
Et, au fond, éperdument, je m'en fiche, je répugne à toute hypothèse définitive, grave ou sensée, sur la question. J'aime tout, abusivement, dans ce que j'aime. Et quand on aime, même si c'est mal, il faut le crier, sinon le coeur éclate. (p. 21)

[...]

Aimer!
Je ne demande rien d'autre à un écrivain. (p. 31)

[...]

Et puis, parmi eux, soudain, il en est un qui paraît, comme un étranger, dans sa primauté dansante, dans une langue qu'on croyait morte, qui se détache du cortège et sort du rang. Pour moi, aujourd'hui, et sans l'ombre d'un doute, c'est lui et ce n'est pas un autre: Aragon.
Quoi, le tovaritch en robe de chambre, le chantre de la Guépéou, l'éternel fakir en lévitation sur sa planche à clous! [...] C'est un cadavre que tu déterres. Pas défendable. Pas toi.
Si, moi.
Il avait la passion de ce qui commence: aube, fleur, incipit.
Il n'était pas de mon bord, et après! ni du vôtre ni du leur. Il campait toujours sur une autre rive. C'est ainsi qu'on perd tous ses amis. Ô Louis, ta mémoire est un sépulcre où pourrit le coeur de tes camarades: âmes, soeurs, faux jumeaux, frères ennemis: [...] (p. 32)
[...]

On devient, en lisant cet auteur défendu - et dans tous les sens -, le contraire d'un adepte.
Soyez donc des lecteurs, pas des adeptes.
Avec lui, on s'absente, on s'éloigne de son camp, n'importe lequel, on désapprend de croire. On rend sa carte, on se désabonne. [...] (p. 36)
[...]

Aragon est tout l'opposé d'un guide spirituel, d'un gouvenreur d'âmes.
Appelons les choses par leur nom: c'est un dépravateur. [...] (p. 37)
[...]

Ce jeune homme [qu'il fut] m'intimide: il ne m'est ni un ami, ni un maître - quel mauvais maître ce serait, je le redis, mais je n'en connais pas de bons, ils sont toujours si lointains ou si proches! (pp. 38-39)
[...]

Je résume: un Pour Aragon sera forcément un Contre Breton et réciproquement.
Sa seule excuse: Aragon l'a aimé.
Breton fut le premier qui donna à Aragon le sentiment d'appartenir: à un groupe, à un clan d'élus, à un parti, déjà. C'est malin! (p. 61)
[...]

Sans père, sans famille, forcément scandaleux, bâtard, sans foi ni loi, voyou, et Arthur Rimbaud, ce n'était pas aussi une petite frappe! ni Dieu ni maître, cordon rouge moscovite (pardon Messieurs les jurés, l'Ode à Staline, ce n'est quand même pas lui, c'ést Éluard!), poète de grand chemin, saboteur de charme. (p. 82)
[...]

J'ai eu autrefois un prof, un communiste, qui disait: C'est un mauvais communiste; pas fiable.
Un autre, un jésuite: Un vrai jésuite, un bolchevik de Dieu, mais sans Dieu, évidemment. Comment savoir? Évidemment, ils ne l'avaient pas lu. Pas tout entier. (p. 87)
[...]

A-t-on bien compris cela? Pour toi, il n'y a pas d'un côté vivre, de l'autre écrire: il n'y a qu'une seule manière d'exister. Oui, plusieurs façons d'aimer.
Et une seule façon d'écrire: la tienne. (p. 106)
[...]

Je crois vain de te rechercher, Louis, ailleurs que dans l'encre: je refuse de lâcher la proie pour quérir l'ombre. C'est dans l'encre que tu te risques et que tu te noies. Tu n'es pas le premier: Beau liquide, du reste, que ce liquide sombre! et dangereux! Comme on s'y noie! Comme il attire! (Flaubert, à Louise Colet, le 14 août 1853). (p. 108)
[...]

Et pourtant, le jeune homme, engagé et prometteur, est intact en toi jusqu'à la fin, et même il semble renaître, plus large de front et plus frêle d'épaules, sous un Stetson blanc, plus provocant que jamais, plus frivole, après la mort d'Elsa. (p. 112)
[...]

Soupault seul parle de ta bonté, Louis, il s'en souvient. Je crois à cette bonté: tu ignores le Mal qui a partie liée avec la vérité, tu as toujours eu du mal avec la vérité: tu ne connais que la ferveur.
C'est ce côté inhumain, irréligieux au fond, que désapprouvait Breton, ta ferveur. Apôtre sans Dieu: il avait peut-être raison, mon jésuite, après tout.
Oui, oui, on dira ce qu'on veut, mais au moins celui dont on parle n'a jamais maltraité l'amour. (p. 117)
[...]

On parle de la facilité d'Aragon, on oublie toujours le travail. Rien de forcé dans ce labeur qui se donne pour caprice. Vivre, écrire, comme on respire. Nul plus que lui, dans ce siècle (à l'exception, peut-être, de Valéry) n'a su, pourtant, aussi bien faire fructifier ses dons.
Travailler, ça s'appelle. (p. 135)
[...]

Tu veux aimer, tu ne sais qu'adorer. Tu es à toi-même une contrée, un empire, un monde, c'est tout, oui? Avec cela, pressé de conclure et, comme tu fais fuir les bonnes gens, tu te crois dangereux. (p. 143)
[...]

Le sais-tu? Tu quittes un monde que tu jugs sans aménité pour un autre qui te jugera encore plus sévèrement. On va classer tes élans, tes inclinations, tes lacunes. On va déplorer tes penchants. Tu vas devenir la proie des chasseurs d'ombres, des scribouillards et des interprètes,
Je ne suis qu'un de ceux-là parmi tant d'autres. (pp. 165-166)
[...]

Tu n'es pas un homme de plaisir. Ce que tu veux, toi, c'est le vertige. Nuance. (p. 166)
[...]

Tu es le siècle, sa force, son piètre instinct, comme Voltaire et Hugo l'ont été dans le leur. Mais auprès de toi, Hugo me fait l'effet d'un paysan qui rentre du marché, les poches gonflées, ayant fait ses affaires. Et Voltaire lui aussi, ayant des doutes comme on an des rentes. (p. 171)
[...]

Ton oeuvre à elle seule, mais lisez donc! est un délicat traité du pastiche - et dans le pastiche, il y a l'amour qui est la divine douleur de vivre; et dans la parodie, mais ça ne t'effleure pas,il y le contraire de l'amour.
Tu as ce charme d'alambic, voleur! cette faculté d'abeille, cette ardeur à piller tous les parfums. (p. 175)
[...]

[...] mais comme ton style est à toi, qualités et défauts! comme toi seul sais le manier sans qu'on puisse impunément te le dérober! [...] (p. 176)
[...]

Un art qui se souvient et qui invente, jamais l'un sans l'autre, voilà le secret. Un lien, une salutaire infidélité et un jeu. C'est cela, la tradition. Et c'est cela, écrire. (p. 176)
[...]

Concilier le français, cette langue de caissier, précise et inhumaine, avec le scandale et la féerie érotique, factieuse et facétieuse, c'est cela que tu veux?
Je n'ai jamais cherché autre chose que le scandale.
Non, tu n'as voulu qu'être écrivain. Tu t'es mouillé, tu t'es compromis - flingué! comme dit Taillandier.
Dans tes commentaires - quel mot, comment taire? - tu superposes à celui qui a écrit celui qui a vécu. Les chapitres épars et lacunaires d'une existence. On n'y peut rien, c'est toi qu'on cherche: le mal d'écrire ne se sépare pas du mal de vivre, du moins à cette époque.
Tu as toi-même voulu nous livrer la genèse ou la signification de certains détails, de certains épisodes, comme si on pouvait rectifier la cendre, l'or, la facétie, mais à quoi bon? Ton travail de critique, ta glose, tout s'enfonce dans la fiction. Ton commentaire entretient et prolonge l'équivoque. On nage entre deux eaux, on erre entre deux récits. (pp. 184-185)






Frédéric Ferney, 1997





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Letzte Änderung - Dernière mise à jour: 21.12.97
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