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Edgar Morin sur Aragon

(1959)

Je ne saurais évidemment réduire le cas d'Aragon aux quelques lignes qui vont suivre. L'important pour le moment est ceci: que cet homme, d'une fidélité imperturbable au parti depuis vingt-cinq ans, soit en même temps demeuré esthète, que cet esthète ait cependant fondé sa fidélité sur une vision policière du monde, que ce militant ait pu constituer, au sein du parti, l'univers salonnard et mondain du C.N.E. Ce mélange de dévouement ignorant, de complexe policier et de coquetterie mondaine n'est pas seulement le cas psychologique d'Aragon, c'est le cas sociologique de tout un secteur de l'intelligentzia stalinienne.
Aragon est le type d'une race d'homme qui croit effacer sans cesse la tache (imaginaire à l'origine) qu'il porte sur la main en se lavant dans la non moins imaginaire culpabilité d'autrui. Il était toujours prêt à dénoncer le flic qu'on lui désignait et même à en inventer d'inattendus.
Tout ceci suppose évidemment l'effarante niaiserie politique que propage, alimente, encourage, félicite la machine du parti. Si Aragon organise son propre culte de la personnalité, c'est dans la norme. Du moment qu'il est sacré poète national, il a droit au culte. Aragon se constituera une cour, une clientèle, où régnera désormais le caprice d'Elsa. Ainsi se constitue un petit royaume littéraire, hors du temps, où selon les humeurs sont accueillis Barrès, Pierre Benoît, Maurice Chevalier, Queneau, ou expulsés J.-J. Rousseau, Gide, Sartre, Roger Vailland. L'admirable est que le parti sanctionne les goûts et les dégoûts d'Aragon. C'est qu'ils n'enfreignent jamais les grands tabous. Aragon a une marge de liberté qui n'est qu'une marge de frivolité et cette frivolité se justifie par le recours à l'argument de la littérature nationale: en affichant Pierre Benoît dans Les Lettres Françaises, Aragon défend la culture française contre la cosmopolitisation américaine. En exaltant Barrès, il lutte contre la C[ommunauté] E[uropéene de] D[éfense].
La marge de frivolité est toujours sauvée parce que Aragon est toujours politiquement le plus docile, le plus empressé: quand les biologistes se dérobent, c'est lui qui intronise Lyssenko. Quand les peintres se dérobent, il présente en grande pompe la peinture soviétique. Son rôle de roitelet est indissociable de son rôle de bonne à tout faire. Aussi jamais Aragon n'a-t-il été aussi bas et aussi superbe qu'en ces années de la seconde glaciation.

Edgar Morin, 1959, p. 111-112





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